La dernière décennie du XXe siècle a été celle d'intenses bouleversements politiques, institutionnels, économiques, qui ont irrémédiablement changé le visage de l'Afrique sub-saharienne. Depuis la fin des années 80, celle-ci souffre d'une crise du parti unique et des régimes autoritaires qui prévalaient comme forme de gouvernement. Elle est aussi devenue le théâtre de nombreux conflits armés, massacres, exodes épidémies, rébellions…etc. Des Etats comme le Libéria ou la Somalie ont cessé d'exister en tant qu'ensembles géopolitiques organisés. D'autres, comme le Soudan, l'Angola, le Mozambique, la Sierra Léone, ont perdu le contrôle d'une partie de leur territoire.
Il apparaît donc clairement que la question de l'Etat est au cœur des drames et des bouleversements qui frappent aujourd'hui l'Afrique. Cependant, l'interprétation des transformations de l'Etat africain n'est pas simple. L'Etat, en première approximation, peut être défini comme une organisation humaine caractérisée par un territoire clairement délimité, une puissance politique possédant une souveraineté interne et externe, et une population unie par un sentiment de solidarité. Or, si par rapport à toutes ces dimensions, la déliquescence de l'Etat en Afrique noire est patente, les logiques profondes qui sous-tendent ses transformations donnent lieu à des interprétations très différentes. Ces interprétations s'organisent autour des trois modalités de la transformation que sont la régression (I), l'adaptation (II) et la construction (III).
[...] La principale mutation de l'Etat africain depuis la décolonisation est sans doute sa "criminalisation". Comme le montre Jean-François BAYART, l'Etat africain n'est plus aujourd'hui un simple "Etat kleptocrate" comme il l'était dans les années 70-80: l'Etat en Afrique semble se transformer à lentement en "Etat malfaiteur", qui se traduit par l'implication croissante d'opérateurs politiques et économiques africains dans des activités considérées comme illégales et criminelles: le Nigeria, qui contrôle une part importante du trafic international de drogue, en est un bon exemple. [...]
[...] La synthèse de ces trois éléments produit l'Etat- nation, mais le décalage entre ces processus provoque des crises. On peut considérer que le processus de formation de l'Etat-nation était en bonne voie en Afrique dans la période précoloniale (à l'exemple de l'Etat des Ashanti ou de l'ancien royaume du Kongo), mais qu'il a été brutalement interrompu par la colonisation qui a créé de toutes pièces des entités étatiques sans adéquation, la plupart du temps, avec les entités culturelles forgées antérieurement. [...]
[...] A-L'inadaptation du modèle étatique occidental en Afrique . Dans L'Etat importé, Bertrand BADIE considère que les causes de la dérive de l'Etat en Afrique Noire, comme pour l'ensemble des pays du Sud, résident dans l'importation du modèle occidental en totale inadéquation avec les cultures de ces pays. A travers le processus de colonisation , on a assisté à une occidentalisation diffuse à l'échelle de la région, occidentalisation dont les quatre dimensions furent la territorialisation, l'unification par le droit, la constitution d'un modèle inter étatique et la constitution de sociétés civiles. [...]
[...] Quant à l'émergence de la vie politique, elle a commencé bien avant la fin de la phase coloniale. Après les indépendances sont apparues les dérives autoritaires de l'Etat qui peuvent être interprétées comme une volonté d'accélération artificielle du processus de construction de l'Etat- nation par le biais du parti unique, ce qui s'est traduit par de sanglants échecs. C'est pourquoi la période actuelle de quête de démocratisation à travers l'étape préalable du multipartisme revêt une importance capitale. Elle constitue, après une lente phase de maturation, l'éclosion d'un mouvement populaire de prise de conscience nationale, à travers la volonté du changement politique, dont l'Afrique du Sud constitue l'exemple le plus marquant. [...]
[...] En effet, aucune des interprétations des transformations de l'Etat en Afrique exposée jusqu'à présent ne rend compte de la dimension universelle de l'Etat-nation comme forme d'organisation humaine. Or, c'est bien ce type d'interprétation qui permet de comprendre que la crise du modèle occidental de l'Etat n'est pas forcément le signe de son inadaptation complète à l'Afrique, mais plutôt une étape dans la construction nationale des Etats africains. A-L'Etat-nation en Afrique: une formation bloquée par la colonisation . Comme le montre Catherine COQUERY-VIDROVITCH dans un article intitulé "De la nation en Afrique noire", le problème de la construction de l'Etat- nation en Afrique est que l'ordre d'évolution est flou: il existe des nations sans Etat (Somalis, Ahraouis, voire Touareg), des Etats sans nation (Congo) et surtout, presque partout, des Etats-nations encore en gestation. [...]
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