S'il est une situation à la fois familière et étrangère aux Français, c'est bien celle que connaît la Colombie. Alors que la longue détention de la franco-colombienne Ingrid Bétancourt, retenue en otage par la guérilla des FARC, mobilise largement l'opinion publique, les négociations engagées pour sa libération ne sont que la face émergée d'un iceberg dont la profondeur est bien mal mesurée. Car si l'on en croit Daniel Pécaut, les Colombiens vivent dans une situation de terreur, livrés aux luttes que se livrent les protagonistes d'un long conflit, subissant les exactions des guérillas comme du pouvoir. Alors que ses voisins sud-américains et les observateurs internationaux dénoncent l'excessive intransigeance du président Uribe et sa fermeté dans la lutte contre les mafias, Pécaut voit dans la déliquescence de l'autorité étatique, livrée à la corruption et embarquée dans un jeu que mènent les guérillas, la cause de la montée de la terreur que subit le peuple colombien.
Dans quelle mesure Daniel Pécaut exagère-t-il la réalité de l'abdication du pouvoir central et l'éclatement de la société colombienne ? Peut-on remettre en cause la situation de terreur qu'il décrit ?
[...] Si la terreur semble plus un fantasme qu'une réalité dans les villes, la situation paraît différente dans les campagnes où les observations de Pécaut (violence des combats, déplacement des habitants, peur et méfiance) se trouvent plus facilement vérifiées. Pécaut identifie deux causes à la généralisation de la terreur en Colombie : l'absence d'un pouvoir central fort et la concurrence entre guérillas qui en résulte. La production et le trafic de drogue sont depuis des décennies la cause principale des guerres colombiennes. La guérilla d'extrême gauche et les paramilitaires d'extrême droite se sont disputés le contrôle des régions enrichies par la culture de la coca et celui des voies de communication stratégiques. [...]
[...] Les conséquences de la terreur sont triples sur la psychologie de la population selon l'analyse que fait Daniel Pécaut. Elles affectent la façon dont les Colombiens conçoivent le territoire, le temps et leur propre individualité. Avec la terreur qui voit les différents protagonistes engagés dans une lutte pour le contrôle du territoire et recourir à tous les moyens possibles pour y parvenir, la perception de l'espace a changé. Daniel Pécaut parle d'un phénomène de déterritorialisation : tous les espaces sont perçus de la même façon, la notion de territoire-refuge disparaissant petit à petit. [...]
[...] Au lieu d'atteindre son objectif d'état des lieux de la société colombienne, Daniel Pécaut réalise une analyse de la mentalité des victimes, qui dépasse un cadre qui ne s'y appropriait plus. Bibliographie Daniel Pécaut Les configurations de l'espace, du temps et de la subjectivité dans un contexte de terreur : l'exemple colombien in Cultures et conflits : sociologie politique de l'international nº37, printemps 2000, Dossier Colombie : 38 ans de guerre civile in Journal de la paix Daza Samper et Maria Lampez, Colombia : a nation and its crisis in International Journal Of Politics, Culture And Society, 2000. [...]
[...] Sous-estimant la portée de ces mobilisations pour la paix et la capacité des sociétés à espérer dans un futur meilleur, il manque de remarquer la renaissance du peuple colombien. Si la situation continue indéniablement à être tendue (comme le montrent les affrontements avec les FARC dans les régions frontalières de Narino et Putumayu qui ont créé un incident diplomatique avec l'Equateur), la Colombie connaît un véritable renouveau. Portée par une forte croissance économique de en 2007 et par la modernisation du pays (transports, urbanisation, éducation), la renaissance de la société colombienne est le fait majeur des années 2000. [...]
[...] La montée de la terreur s'inscrit donc dans une logique qui est celle de tous les conflits armés qu'a connus la Colombie : dominer une partie du territoire et l'agrandir au fur et à mesure. Elle intègre pourtant à un degré supérieur tout le territoire et toute la population : il s'agit de détruire la société civile sans armes, ou plus exactement de l'intégrer dans la société civile en armes que constituent les différents protagonistes. Ils cherchent à s'assurer le contrôle d'un territoire en acquérant le soutien de la population locale par la garantie d'une protection contre les raids ennemis et du respect des intérêts locaux. [...]
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