Dans les années 1950, un nouveau concept proposé par le théoricien behavioriste Deutsch, voit le jour. Le second grand débat sur les relations internationales avait opposé scientifiques et classiques quant à la méthode permettant d'appréhender l'objet. Ces deux courants doctrinaux ne s'opposaient cependant pas sur le plan ontologique : l'Etat est le seul acteur à étudier pour penser les relations internationales. C'est en développant le concept de communauté de sécurité que Deutsch semble se détacher du niveau d'analyse adopté. Pour lui, la sécurité passe par les individus partageants des valeurs fondamentales et qui refusent tout recours à la force armée pour régler leurs différends. Par cette approche, il semble alors annoncer les termes du troisième débat, celui de l'ontologie et de l'épistémologie entre approche stato-centrée ou non stato-centrée.
Joseph Nye et Robert Keohane sont les premiers à théoriser cette nouvelle vision à travers leur premier ouvrage Transnational Relations and World Politics, qu'ils publient en 1972. Pour cela, ils s'appuient sur plusieurs constats et notamment sur l'érosion des cadres pré-établis d'autorité fondés sur la puissance et l'émergence de nouveaux acteurs de la vie internationale. Cette dernière laisse apparaître des anomalies : l'effondrement du système monétaire ou encore le choc pétrolier sont difficilement traitables par les Etats qui vivent une triple crise. Une crise de souveraineté tout d'abord, car ils ne sont pas en mesure d'organiser la société et de légiférer quant aux nouveaux enjeux internationaux ; une crise de territorialité, car la démultiplication des flux transnationaux remet en question les frontières que les Etats ne maîtrisent plus ; et enfin d'autorité dans leur difficulté à faire respecter leurs normes.
C'est ainsi la pertinence de la doctrine réaliste qui est remise en cause : une vision essentiellement stato-centrée ne reflète pas la réalité objective du système international. En effet, dans un contexte de « détente » atteignant son apogée (1972) dans le cadre de la Guerre Froide, le recours à la force armée dans le règlement des différents entre Nations, n'apparaît plus inéluctable. Il s'agit alors pour Nye et Keohane de mettre à jour de nouveaux acteurs (économiques, financiers...), afin de révéler leur rôle sur le théâtre des relations internationales, et de montrer en quoi ils sont avec les Etats en situation d'interdépendance, qualifiée de « complexe », ou encore membres d'une « toile d'araignée » ou d'un « filet » . Cependant, bien que ces théoriciens apportent une grande nouveauté dans l'étude des relations internationales, ils sont souvent présentés comme affiliés au libéralisme (notamment sur l'approche individualiste des relations internationales), ou même comme voulant adapter la doctrine réaliste à un monde plus difficile.
Peut-on alors vraiment parler de paradigme autonome ? Faut-il parler d'une véritable révolution ? Pour répondre à cette question, nous présenterons dans un premier temps la théorie de l'interdépendance complexe de Nye et Keohane (I), puis nous verrons comment nous pouvons la qualifier d'incomplète (II).
[...] Le point de départ de nouvelles approches Comme nous avons pu le constater, la théorie de l'interdépendance complexe a connu une évolution évidente entre 1972 et 1977. Il semble que la véritable révolution transnationale se fasse de manière plus tardive, dans les années 90, autour des développements de Burton sur la société mondiale des humains, Norbert Elias sur l'idée d'une société des individus ou encore d'un Monde de la vie de J. Habermas. Ces auteurs constituent alors la plus grande remise en cause du réalisme, profitant de la chute du mur de Berlin qui servit de révélateur de l'intensification des flux transnationaux qui avaient été occultés par l'affrontement Est-Ouest Il ne s'agit pas de développer l'ensemble de ces théories post-Guerre Froide, mais de montrer que l'école de l'interdépendance complexe peut se qualifier d' embryon des thèses du transnationalisme. [...]
[...] O. Keohane et J. S. Nye, Transnational Relations and World Politics, Cambridge, Massachusetts, Harvard University Press p. D. Battistella, Théories des relations internationales, Paris, Presses de Sciences Po p. Ibid p. Ibid p. Relations Internationales, J.J. Roche, Paris, L.G.D.J p. Relations Internationales, J.J. [...]
[...] On parle également de révolution interne dans la mesure où les critiques de la doctrine réaliste s'en rapprochent : c'est le cas du néo-libéralisme. Ainsi, Keohane lui-même réagira à la théorie de Gilpin basée sur le rôle central de l'Etat, mais qui doit renforcer ses liens avec les Organisations Internationales pour préserver son hégémonie. La théorie de l'Interdépendance Complexe jette ainsi les bases des doctrines du transnationalisme et permet l'ouverture de nouvelles perspectives allant au-delà du vieux débat entre réalistes et non- réalistes. [...]
[...] Roche, Paris, L.G.D.J p. [...]
[...] Cette inégalité implique que les relations établies entre eux sont fondées sur une réciprocité imparfaite. Dès lors il parait important de savoir dans quelle mesure ces flux transnationaux modifient la conduite des Etats et c'est dans cette optique que Nye et Keohane mettent au point les concepts de sensitivity et vulnerability La sensitivité, ou la sensibilité d'un pays face aux changements qui se sont produits dans un autre Etat, mesure la vitesse et l'ampleur des modifications induites par les flux transnationaux entre deux pays. [...]
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