La démarche de Raymond Aron est unique en ce qu'elle apporte une perspective nouvelle à l'étude des relations internationales. Le contexte dans lequel Aron publie ses articles ainsi que ses travaux les plus importants est celui des années 1950-1960, celui d'un monde bipolaire marqué par une évolution technologique rapide qui rend possible la production d'armes de destruction massives. Raymond Aron, dans ses divers articles du Figaro et surtout dans son ouvrage majeur sur les relations internationales qu'est « Paix et Guerre entre les nations », entend présenter de facon rigoureuse une théorie des relations internationales qu'il veut détachée de toute idéologie. Aron s'attache en effet particulièrement à la rigueur de la démonstration et des termes. La pensée de Aron est riche et complexe, à l'image de sa représentation de la politique internationale. L'apport de Aron se situe sans doute dans cette compréhension de la complexité de la politique internationale, son refus de l'étudier à partir d'une perspective ou d'un concept simplificateur et donc dangereux, et par conséquent son apport essentiel se trouve dans la critique méthodologique et conceptuelle qu'il oppose aux tenants de la conception purement réaliste des relations internationales. La discipline relativement jeune des relations internationales est la scène de vives controverses entre les adeptes de différents systèmes d'interprétation, dont le libéralisme et le réalisme. L'évolution du contexte international marqué par la fin de l'équilibre bipolaire fondé sur la terreur ou la dissuasion nucléaire et la course aux armements a marqué de son empreinte les principales structures de la société internationale. La fin de cet ordre international signifie une certaine rupture dans le cours de la politique internationale d'autant plus qu'elle est intervenue dans le processus de mondialisation politique et de globalisation économique. Cette évolution rend l'actualité de la pensée de Raymond Aron encore plus poignante : l'intérêt de la complémentarité des approches réalistes et libérales ainsi que le fait que l'analyse des relations internationales ne peut pas être fondée sur une variable explicative unique sont de plus en plus évident. L'affrontement de nombreux paradigmes (puissance, interdépendance, Etat, …) empêche la progression des recherches scientifiques. Tout semble indiquer que seule une démarche « interparadigmatique » permette de dépasser le conflit et le faux-conflit entre ces théories unidimensionnelles et uniconceptuelles afin de parvenir à certains concepts fondamentaux , dont celui du « système inter- et transnational ».
C'est cependant cette richesse même de la pensée de Aron qui rend sa classification délicate. Comment classer cet auteur qui cherchait justement à se détacher de toute contingence et à étudier la politique internationale dans toute sa richesse ? Il est particulièrement intéressant de relever deux affirmations contraires portant sur Aron : selon Allan Bloom, « il était vraiment libéral…il ne fut jamais conservateur…il n'était pas un réaliste »[1]. En revanche, dans un dictionnaire des relations internationales, on peut lire : « En France, l'œuvre monumentale de Raymond Aron s'inscrit explicitement dans la filiation des théories dites réalistes »[2].
Réduire la pensée de Aron à une seule catégorie serait sans aucun doute déformer la pensée de Aron. En suivant l'analyse de Skinner, on pourrait dire que chercher à classer Aron dans une des deux catégories -réalisme ou libéralisme- est une « mythologie des doctrines »[3] : certains se l'approprient injustement. Comment doit-on dès lors présenter la pensée de Raymond Aron ? Est-elle d'essence plutôt libérale ou réaliste, ou bien même un mélange des deux. Même si Aron refuse de se positionner clairement en rapport à l'une de ces deux écoles de pensée majeures, il est possible d'affirmer que la théorie de Aron repose sur des bases essentiellement réalistes tout en laissant de a place à de nombreux éléments libéraux. Nous étudierons en détails ces divers aspects de la pensée de Aron.
L'objet de ma démarche sera tout au long de cette présentation, de se demander si la pensée de Aron ne permet pas de dépasser l'opposition désormais classique entre ces deux écoles de pensée, non pas simplement en assemblant un peu des deux corps de doctrine dans une théorie unique, mais bien en les obligeant aux dialogue avant tout et au bénéfice de la discipline des relations inter- et transnationales.
[...] Ainsi par exemple dans la France des années 1960, la disparité de force entre celle-ci et les Etats-Unis est énorme, mais la puissance ne l'est pas dans une telle mesure : la France, qui s'est notamment dotée de l'arme atomique, est capable d'une large autonomie de décision et les Etats-Unis ne disposent que d'une influence limitée sur elle. Les objectifs visés déterminent également la puissance. Ainsi, si la Suisse définit sa stratégie diplomatique en termes de défense, sa puissance dépasse largement sa force : le coût d'une conquête de la Suisse dépasse largement l'enjeu qu'elle représente. C'est pourquoi Aron procède à une distinction entre puissance offensive et puissance défensive[23]. Il faut de plus distinguer la puissance en temps de paix de la puissance en temps de guerre, cette dernière dépendant surtout de la force militaire. [...]
[...] Aron qualifie cette tendance idéalisme idéologique Ainsi affirme-t-il : la continuité incontestable est issue de la tradition nationale, imposée par les impératifs du calcul des forces. Il reste à démontrer que des hommes d'Etat, inspirés par des philosophes différents, agissent de même dans les mêmes circonstances et que les partis devraient, s'ils étaient rationnels en tant qu'hommes diplomatiques, estimer de la même manière l'intérêt national. Or, une telle démonstration me paraît inconcevable, l'hypothèse elle-même absurde. Ainsi, alors qu'il identifie dans l'introduction de paix et guerre le concept d'utilité comme étant le concept primordial des modèles économiques, il réfute idée selon laquelle la puissance serait le pendant de l'utilité (les ressources étant alors le pendant de la monnaie, c'est à dire l'outil de mesure et de comparaison) dans la discipline des relations internationales. [...]
[...] But wherever they strive to realize their goal by means of international politics, they do so by striving for power. The crusaders want to free the holy places from domination by the infidels; Wodrow Wilson wanted to make the world free for democracy; the national socialists wanted to open eastern Europe to German colonization, to dominate Europe and to conquer the world. Since they chose power to achieve these ends, they were actors on the scene of international politics» Les ambiguïtés de ce paragraphe qui est au centre de la réflexion de Morgenthau sont relevées par Aron: au début du paragraphe, est d'abord l'objectif prochain de tout acteur sur la scène internationale. [...]
[...] absence de possibilité de prédiction et d'action. Ainsi pour Raymond Aron n'est-il envisageable d'étudier les relations internationales qu'à l'aide d'une sociologie définie comme l'intermédiaire indispensable entre la théorie et l'événement le lien entre une histoire faite d'événements rejetant les constantes et une théorie générale mais impossible. Alors que le schéma de l'économie politique ne prête pas à réfutation en tant que Schéma les relations internationales ne prêteraient pas à la théorie, non pas du fait de l'insuffisance des concepts mais parce que la réalité même de son objet ne serait pas réductible à une approche unique[42]. [...]
[...] Carr et Morgenthau peut être analysée de facon intéressante autour du concept de puissance. Si l'on suit l'analyse de Buzan, on admettra que it is perhaps not going too far to say that the debate about power in international relations is the core of what realism is about.”[15]: la puissance revêt un caractère central dans la pensée des fondateurs américains de la discipline des relations internationales qui ont en effet bâtit l'ensemble de leur construction théorique autour de la notion de power Ainsi Aron, en tant qu'il s'interrogeait sur l'organisation, les fondements et la logique des relations internationales, ne pouvait pas manquer d'étudier ce concept qui, chez un Morgenthau par exemple devait avoir un rôle comparable à celui joué par l'utilité dans l'économie. [...]
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