La Turquie est un pays en pleine mutation. Lancée dans une dynamique de croissance échevelée – la deuxième par ordre d'importance après la Chine en 2005 – et de réformes institutionnelles et démocratiques spectaculaires, Ankara a le regard fixé vers Bruxelles et se tourne résolument vers l'Europe. L'ouverture le 3 octobre dernier des négociations d'adhésion ne fait que conforter cette attitude modernisatrice. Cependant, la Turquie ne peut faire table rase ni de son passé ni des conjonctures actuelles. Confrontée à sa réalité géopolitique, sociale et économique, la Turquie doit, en vue de préparer l'avenir, régler certaines questions. Parmi celles-ci figurent la question kurde. Cristallisant à elle seule toutes les frustrations du passé et les craintes du présent, le spectre de l'indépendantisme provoque une telle crispation des nationalistes qu'il cause l'émergence de cette question pourtant d'origine strictement interne sur la scène internationale. Un aspect particulier de cette question constitue l'objet de la présente étude dont la problématique générale sera comme indiqué dans le titre: « Quelle est l'importance des enjeux pétroliers dans la politique stratégique turque concernant le Kurdistan irakien ? »
Ce travail s'articulera autour de trois axes distincts. Premièrement, il s'agira de « planter le décor », de retracer l'histoire des relations frontalières politiques et stratégiques existant entre la Turquie et le Nord irakien. Se poseront les questions de savoir quel rôle a tenu jusqu'à récemment la présence de ressources pétrolières dans ces relations ainsi que d'observer quelle fut la nature même de ces relations. Après cette remise en contexte, le propos de la seconde partie sera de relever chronologiquement les actes et déclarations des différents acteurs internationaux ayant pris part aux événements de 2003 et ayant influé dans un sens ou dans un autre sur la prise de décision de la Turquie dans les questions touchant à la réorientation de sa politique stratégique en matière de protection de ses intérêts sécuritaires et pétroliers. Il sera question ici de savoir quels furent ces acteurs ; comment les événements s'enchaînèrent ; pourquoi la Turquie prit le parti de ne pas intervenir militairement dans le Kurdistan irakien. Une troisième et dernière partie consistera en l'analyse des intérêts et enjeux pétroliers croisés des différents acteurs étatiques engagés dans le conflit. Quels objectifs poursuivent-ils ? Quelles conséquences la poursuite de ces intérêts a-t-elle pour eux-mêmes ainsi que pour leurs alliés ? Ces objectifs ont-ils été partiellement ou complètement atteints ? Quelles perspectives s'offrent à eux aujourd'hui ? Telles sont les questions auxquelles cette étude tentera d'apporter une réponse.
Une attention toute particulière aura été portée à la diversification des sources sur lesquelles repose cette étude. Ainsi, furent entendues et prises en considération tant les voix d'auteurs kurdes - via, par exemple, le Bulletin publié par l'Institut kurde de Paris -, turcs - par le biais de revues spécialisées telles que le Turkish Policy Quarterly -, français - principalement par voie de presse tels que le quotidien Le Monde ou Le Monde diplomatique mais également via des publications officielles de la Direction des relations économiques extérieures de la République française -, ou encore américaine via les rapports publiés par l'Agence centrale de renseignement américaine (CIA) ou l'Administration d'information sur l'énergie (EIA). D'autre part, il est important de signaler la cherté ou la difficulté d'accès aux sources et analyses politiques traitant de la situation énergétique et pétrolière frontalière turco-irakienne après 2003. Celles-ci rendent l'heuristique partielle et incomplète. Ces lacunes seront comblées au maximum par recoupement des informations disponibles.
[...] La compagnie allemande Shell possédait également d'importants intérêts en Irak tout comme la British Petroleum qui jadis contrôlait le pays et se montrait particulièrement impatiente de s'y remettre. Pour les pays de l'Union, tout comme pour les Etats-Unis, la fin de l'embargo et la perspective de reprise de l'exploitation pétrolière en Irak représentaient un intérêt considérable. Une fois rassurée sur le maintien des contrats négociés ou signés avec le régime de Saddam Hussein par les compagnies européennes, l'Union se montra prête à prendre part au processus de stabilisation et de sécurisation de la région c. [...]
[...] Le 7 novembre, le gouvernement turc abandonna son projet de déployer des soldats en Irak pour épauler les forces de la coalition après avoir été confronté à la vive opposition des Irakiens et aux hésitations des Américains. Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères Huseyin Dirioz déclara le même jour que le gouvernement turc avait décidé de ne pas utiliser l'autorisation, votée le 7 octobre par le parlement turc, d'envoyer des soldats dans le pays voisin[40] L'existence d'intérêts divergents et d'alliances contrariées Mais quelle fut la cause de la mise à mort de la politique de statu quo adoptée par la communauté internationale dans son ensemble depuis 1991 vis-à-vis du régime baasiste de Saddam Hussein ? [...]
[...] L'Union européenne joua ainsi la carte financière afin de dissuader Ankara de toute tentative d'incursion dans le territoire irakien[49]. Concrètement, la Commission proposa au Conseil d'octroyer à la Turquie une aide financière de 1,05 milliard d'euros sur la période 2004-2006, soit le double du niveau précédent mais en contrepartie, celle-ci devrait faire preuve de la plus extrême retenue au Kurdistan irakien, alors qu'Ankara souhaitait y envoyer des milliers d'hommes sous couvert d'aide humanitaire aux réfugiés irakiens. Il est clair que toute incursion turque dans le Nord de l'Irak ne serait pas souhaitable, serait déplacée déclara le commissaire européen à l'élargissement, Günter Verheugen. [...]
[...] MAMOU (Yves), La course au pétrole irakien ne doit pas oublier les Irakiens dans Le Monde février 2003. [...]
[...] Les déclarations et actes formulés par divers dirigeants européens et exprimant leur volonté de voir ce processus de rapprochement aller de l'avant confortèrent Ankara dans cette voie. Concernant spécifiquement le chapitre pétrolier, les dirigeants turcs se virent rassurés par le maintien de l'activité des grandes sociétés pétrolières occidentales dans le sud comme dans le nord ainsi que du frein mit par les Etats-Unis à la recherche de nouveaux gisements dans le sud du pays[57]. Cela permet donc au nord de minimiser sa perte de vitesse en matière d'exportation ainsi que de continuer à attirer les investissements nécessaires à la réparation et à la modernisation des infrastructures pétrolières du Nord irakien. [...]
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