Au début de la décennie, un éditorial de La Presse s'interrogeait déjà sur l'ambivalence de la France à l'égard de la mondialisation :
« Qui incarne le mieux la France d'aujourd'hui ? Est-ce José Bové, le paysan moustachu en guerre contre McDo et la mondialisation à l'américaine ? Ou est-ce Jean-Marie Messier, président de la société française Vivendi, qui veut avaler Seagram et sa filière hollywoodienne Universal Studios, productrice de Jurassic Park et autres blockbusters internationaux ? » .
Face au processus de mondialisation, face à l'accélération et à l'intensification des flux transfrontaliers de biens, de services, de capitaux, d'investissements, d'hommes, d'idées, d'information, corrélativement à l'accroissement de l'interdépendance des sociétés, la position de la France et des Français apparaît plutôt paradoxale. D'un côté, le pays semble être à l'avant-garde de la mondialisation : outre des infrastructures solides et un capital humain de bonne qualité, elle figure parmi les pays les plus ouverts aux capitaux étrangers (44 % du capital des entreprises françaises du CAC 40 serait détenu par des non-résidents ), elle se classe cinquième exportateur mondial de biens, le troisième en termes de produits agricoles et agroalimentaires, le quatrième pour les services et la première destination touristique mondiale (le degré d'ouverture de son économie est passé de 11 % à 22 %, entre 1960 et 2005), ses grandes entreprises figurent nombreuses parmi les entreprises leaders de leur secteur et investissent massivement à l'étranger (parmi les vingt premières multinationales, en termes d'actifs à l'étranger, cinq étaient françaises en 2005)… Et pourtant, la France apparaît également comme un pays qui exprime de vives réticences face au phénomène, voire qui se situe à la « pointe » de sa contestation : c'est elle, au sein de l'Union européenne, qui défend avec le plus de vigueur la Politique agricole commune, le principe d'« exception culturelle » ou la notion de service public ; c'était elle qui, par son retrait des négociations en octobre 1998, avait conduit à la suspension définitive du projet d'AMI (Accord multilatéral sur l'investissement), ou qui prit l'initiative de proposer la mise en place d'une fiscalité globale à l'Assemblée générale des Nations unies et au G8, sous la forme d'un prélèvement de solidarité sur les billets d'avion affecté à la lutte contre le SIDA (UNITAID )… C'est également l'un des pays où le soutien à l'antimondialisme, puis à l'altermondialisme, est le plus affirmé, aussi bien au sein de la société civile (à l'instar de la création d'ATTAC en 1998 ou du démontage d'un McDonald's par des militants de la Confédération paysanne, en août 1999) que de la part de l'État (la France est certainement le seul pays à avoir officiellement dépêché des ministres lors de tous les Forums sociaux mondiaux, depuis 2001). Plus encore, cette singularité semble faire écho à des réticences marquées, émanant de la population (réticences cristallisés, en partie, par la victoire du « non » au référendum sur la Constitution européenne, le 29 mai 2005).
[...] Atouts et défis de la France dans la mondialisation in Mondialisation, les atouts de la France, La Documentation Française, Paris, avril 2007. SOLOW, Robert (2007). En termes de productivité, la France est très performante Les Échos mars 2007. ATTALI, Jacques (2008) Décisions pour changer la France, Xo, Paris, janvier 2008. BAVEREZ, Nicolas (2005). Le modèle social français ou comment le moderniser Le Point juillet 2005. La fonction publique française représente environ 5,2 millions de salariés, c'est-à-dire de l'ensemble des travailleurs, salariés ou non. [...]
[...] ( ) Sur le plan international, les Français s'emparent des maux du monde pour justifier leur défection : la pauvreté et l'exclusion servent d'alibi à une sursocialisation, les menaces sur l'environnement servent à l'apologie de la décroissance et les difficultés américaines dans le monde flattent le pacifisme [64]. Scénarios possibles Devant les innombrables avis et recommandations, émanant d'une multitude de rapports, d'éditoriaux ou de tribunes, nous avons choisi de nous référer au récent rapport du groupe de travail international sur la mondialisation placé sous l'égide du ministère de l'Économie, qui présenta quatre scénarii probables, autant de voies possibles dépendant du futur choix adopté par le pays à l'égard de la mondialisation[65]. [...]
[...] COLOMBANI, Jean-Marie (2005). La France à son rang Le Monde septembre 2005. COLOMBANI, Jean-Marie (1995). Après le choc Le Monde novembre 2005. EUROBAROMETRE (2004). La perception des politiques de l'UE et de ses institutions ainsi que les élections européennes Eurobaromètre, Luxembourg, printemps 2004. FUKUYAMA, Francis (2001). La seule chose qui bouge, c'est José Bové Le Figaro, Paris février 2001. [...]
[...] Étude disponible en ligne : http://www.fondapol.org/fileadmin/uploads/pdf/documents/HS_Une_ambition_pour _les_francais_Ewald.pdf Durant la campagne présidentielle, le candidat Sarkozy avait fustigé l'égalitarisme, lors d'un discours du 18 décembre 2006, et avait inscrit cette idée dans son projet présidentiel en ces termes : Il faut sortir de cette logique absurde du nivellement qui tire toute la société vers le bas en l'amputant de tous ses talents, en la privant de ses jeunes les mieux formés, les plus entreprenants, les plus imaginatifs, les plus audacieux. Il faut sortir de cette politique qui consiste à déshabiller Pierre pour habiller Paul. Il faut sortir de cette double impasse de la politique qui punit la réussite et de la politique du chacun pour soi MORAND, Pascal (2007). Mondialisation, changeons de posture, rapport officiel, La Documentation française, Paris, mai 2007. [...]
[...] Démarche plus scientifique les nombreux sondages ayant pour objet la perception de la mondialisation par les Français corroborent cette idée. Par exemple, une étude menée par l'institut de sondage IFOP intitulée Déclin, modèle français et mondialisation révélait, en 2007, qu'une majorité de Français considérait leur pays en déclin (à et en progrès et imputait à la mondialisation la cause de cette détérioration à hauteur de ( seulement considérant le phénomène comme une chance parce qu'elle lui ouvre des marchés et la pousse à se moderniser Une précédente enquête d'opinion menée à l'échelle européenne (Eurobaromètre[41]), en 2004, détaillait les différents qualificatifs que les Français rattachaient à la mondialisation : conduit à une concentration des pouvoirs entre les mains des grandes entreprises à menace pour l'emploi à n'est pas une bonne chose pour le pays à ni une bonne chose pour soi-même à 60 Bien qu'il ne faille pas, pour autant, se focaliser sur un pessimisme exclusivement hexagonal (comme l'a démontré une enquête du Pew Research Center[43]), il est difficile de nier cette inquiétude notable de la part de l'opinion publique et de ne pas rattacher cette dernière à une identité en crise Une crainte atavique face à la mondialisation Le ressort historique Pour le politologue Bruno Cautrès, le débat qui engendra cette crainte à l'égard de la mondialisation naquit à la fin des années 1980 et portait sur le rapport de l'État-Providence à la modernisation économique. [...]
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