L'étude de la seconde guerre du Golfe est particulièrement intéressante. En effet, la question de la rationalité des décisions américaines est posée à maintes reprises quant aux raisons de la non-intervention des USA face aux prétentions de l'Irak sur le Koweït puis de leur soudaine détermination à intervenir militairement dès août 1990 après l'invasion. Les justifications et la façon de prendre les décisions à ce moment regorgent d'arguments prouvant que la rationalité en politique et surtout en temps de crise n'est qu'un idéal difficile à atteindre. Finalement, malgré un cadre institutionnel et législatif précis, certains éléments, dans les affaires publiques, semblent échapper à toute logique, tout formalisme. Des décisions prises en apparence de façon réfléchie et mesurée le sont toujours par des individus influencés par des courants idéologiques, des intérêts personnels, des croyances, des informations erronées et une histoire personnelle qui interviennent directement ou indirectement dans les alternatives qu'ils privilégient. C'est ce que tentent de comprendre les théories cognitives. Ainsi, pour saisir les données qui sont entrées en ligne de compte dans le refus d'intervenir ou au contraire dans le choix de l'option militaire par les USA, nous utiliserons les théories de l'acteur rationnel et celles dites cognitives. Nous essaierons de déterminer laquelle est la plus pertinente pour expliquer cette crise ou alors de montrer comment ces deux facteurs peuvent se révéler complémentaires dans l'analyse.
Une telle étude aurait pu être menée sur le processus décisionnel irakien mais analyser le cas des USA se révèle beaucoup plus pertinent dans la mesure où il s'agit, au lendemain de la guerre froide, de la seule grande puissance capable de jouer un rôle significatif pour défendre le statu quo dans le Golfe et qui est, de façon plus générale, la plus apte à construire les bases d'un nouvel ordre mondial.
[...] Tout d'abord, pourquoi les USA n'ont pas cru à la menace irakienne sur l'Irak ? On l'a vu dans le paragraphe précédent, pour les partisans du modèle de l'acteur rationnel, les choix de l'Administration Bush ont été le résultat d'évaluation de plusieurs alternatives selon un rapport coût/bénéfice afin de trouver l'option susceptible d'être la plus efficace. De plus, les membres du groupe de décision ont jaugé les raisons qui amèneraient Saddam Hussein à envahir le Koweït et tenté d'anticiper ses choix en le considérant comme un acteur rationnel qui cherche à défendre ses intérêts et effectue le même rapport coût/ bénéfice avant de s'engager dans une intervention militaire. [...]
[...] Cependant, il faut noter que les théories cognitives sont plus pertinentes pour expliquer la position adoptée par les USA. La rationalité est davantage instrumentalisée consciemment ou inconsciemment pour masquer des procédés irrationnels. Toutefois, il faut reconnaitre qu'aucune décision ne peut être parfaitement mesurée et réfléchie de façon à être un modèle de rationalité : les décideurs restent des êtres humains. Toute la qualité de la prise de décision réside dans la capacité de ses acteurs à prendre conscience de l'incursion de facteurs irrationnels dans le processus et de leur aptitude à questionner leur pertinence et à les rejeter pour tenter de se rapprocher d'un idéal de rationalité. [...]
[...] Ainsi, les préoccupations nationalistes arabes de son voisin sont très éloignées de ses intérêts. Depuis le début du XXe siècle, les relations entre ces deux pays sont conflictuelles du fait de désaccords frontaliers. Pendant longtemps l'Irak a refusé de reconnaitre la légitimité de son voisin pour les raisons énoncées précédemment. Ainsi, en 1961 le général irakien Kassem déclare, alors que le Koweït vient de proclamer son indépendance, que ce pays fait partie intégrante de l'Irak. Ces menaces apparaissent comme une répétition générale des événements de 1990. [...]
[...] Or, cet aspect de sa personnalité existe mais est dépassé par des préoccupations nationalistes, territoriales ou encore par les différends qui l'opposent avec les pétromonarchies de la Péninsule. Comme on a pu le voir durant la première guerre du Golfe, ses convictions sont souvent plus fortes que la raison chez lui. Il est prêt à prendre des mesures inadaptées pour pouvoir défendre ce qui lui tient à cœur. C'est cette dimension mégalomane et imprévisible de la personnalité de Saddam Hussein que les Américains n'ont pas su saisir ou ont refusé de voir au début de la crise (Chaliand 2004). [...]
[...] Ces derniers sont aveuglés par l'idée que Saddam Hussein est un acteur rationnel et que, du fait de sa situation économique déplorable au lendemain de la guerre contre l'Iran, est conscient que de se lancer dans un nouveau conflit serait beaucoup trop coûteux pour son pays en pleine reconstruction. Selon les Américains, ce sont les conclusions que Saddam Hussein a tirées de la guerre qu'il vient de subir. Or, ils n'ont pas pensé que ces leçons ont pu être différentes et que les relations Iran/Irak n'ont rien de commun aux relations Irak/Koweït car les caractéristiques politiques, religieuses mais aussi ethniques des régimes et de la population iranienne et koweïtienne sont parfaitement différentes. [...]
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