Bertrand Badie, professeur à l'Institut d'Etudes Politiques de Paris, s'intéresse dans son ouvrage intitulé L'Etat importé, à l'importation du modèle étatique dans les pays « extra occidentaux ». Il s'agit de l'étude de l'occidentalisation des pays du Sud dans le domaine politique.
La forme étatique trouve son origine dans l'Etat-nation qui est un système politique singulier inventé en Europe occidentale. Entre le XIIIe et le XIXe siècle, l'Etat s'est diffusé tout d'abord dans les espaces de culture occidentale tels que les Amériques lors de l'indépendance des Etats-Unis et des sociétés d'Amérique Latine. Au gré de vagues successives, l'ensemble du continent a fini par s'harmoniser dans un objectif final : « l'occidentalisation de l'ordre politique ».
Que ce soit un choix forcé des périphéries plus ou moins proches de l'Europe pour se rétablir (comme ce fut le cas de l'Empire ottoman, de la Perse, du Japon), ou les conséquences de la décolonisation (en Asie et en Afrique), l'Etat apparaît « comme la seule forme d'organisation politique concevable ». En effet, Jacques Chevallier assure qu'« il n'y a apparemment pas d'alternative à l'Etat qui, emblématique de la modernité, semble épuiser l'univers du pensable ».
En tout état de cause, on assiste depuis de nombreuses années à une occidentalisation du monde et les spécialistes des relations internationales s'interrogent sur les facteurs de cette « mondialisation politique ».
La théorie la plus commune est celle de la dépendance mise en avant par des auteurs latino-américains tels que Cardoso et Faletto . Cette théorie établit qu'il existe une dépendance économique des périphéries à l'égard des centres. Un rapport de force économique existerait entre les pays développés et la périphérie, plus pauvre. Toutefois Bertrand Badie avance dans L'Etat importé, une nouvelle théorie de la dépendance mais cette fois politique et non économique.
D'autres facteurs de l'occidentalisation sont mis en avant par l'auteur tels que les actions du système international ou encore la stratégie des élites du Sud à intégrer dans leurs systèmes nationaux les produits occidentaux afin de développer et de protéger leurs intérêts.
Mais dans quelle mesure peut-on parler d'importation du modèle étatique occidental ? Quels sont les facteurs de l'occidentalisation de l'ordre politique ? Et, enfin, quelles sont les chances de réussite de ce processus ?
Bertrand Badie va ainsi, au fil de son ouvrage, étudier les différentes causes de l'exportation de l'ordre politique occidental (I) pour conclure à un échec de ce processus d'importation (II).
[...] Ainsi, cette analyse est en opposition directe avec tout d'abord la théorie strictement économique de la dépendance. Nous l'avons vu, Bertrand Badie nous éclaire sur le côté politique de la dépendance et le désir des élites du Sud de favoriser l'occidentalisation de l'ordre politique. Cela va à l'encontre des théories selon lesquelles les relations Nord/Sud seraient le résultat d'une occidentalisation forcée ou d'un complot de l'Occident A partir de cela, l'auteur conclut que la greffe de l'ordre politique occidental dans les sociétés du Sud est impossible et ne peut aboutir qu'à des formes d'organisations syncrétiques, imprécises et inefficaces. [...]
[...] A l'origine, le principe de territorialité est issu de la logique féodale et s'est institutionnalisée grâce au traité de Westphalie de 1648. La diffusion du principe de territorialité s'est produite à travers les différentes conquêtes et avec l'expansion de l'économie marchande. Mais cette diffusion va se trouver confronter à différents problèmes et créer des tensions au sein de communautés impossible à territorialiser. C'est le cas des Tamouls qui, en se dispersant sur l'île du Sri Lanka, n'ont respecté aucun règlement spatial. [...]
[...] De même, des élites du Sud vont emprunter au modèle occidental des idées de modernité, de rationalité et de souveraineté permettant d'échapper au dilemme d'un ordre sociopolitique qui n'offre aucun rôle à l'intellectuel[4] dans le but de s'émanciper du pouvoir néo-patrimonial et des habitudes ancestrales. Ainsi, on observe que l'importation du modèle étatique occidental est un choix des élites du Sud ; néanmoins, ce processus a tendance à s'autonomiser et par conséquent à échapper à la volonté des acteurs qui l'ont importé. En réponse, les élites traditionnelles vont s'opposer aux nouvelles élites et à cette modernisation en trouvant refuge dans des valeurs traditionnelles et communautaires. [...]
[...] et l'échec engendré par cette importation Dans la dernière partie de son livre, Bertrand Badie aborde les causes de cette universalisation manquée et les conséquences de cet échec A. Une incompatibilité des dispositifs importés dans les Etats extra occidentaux L'impossibilité de l'importation du modèle étatique occidental découle, selon Bertrand Badie, de la définition même de ce modèle. En effet, construit par référence avec la raison, [l'Etat] ne peut que se prétendre universel Ainsi, l'Etat est le symbole de la modernité et du progrès puisqu'il est construit sur une légitimité légale-rationnelle. Par conséquent, cette théorie de l'Etat comme organisation politique universelle devient le modèle à suivre. [...]
[...] L'administration est le plus souvent privatisée donc corrompue et rend transparente la frontière entre secteur public et secteur privé. La population n'a alors plus confiance en l'administration et se réfugie alors dans des pratiques communautaristes. De même, le droit importé est incompatible et inapproprié avec la culture locale et se voit donc concurrencé par un droit coutumier d'origine religieuse. B. Les conséquences néfastes dues à l'importation du modèle occidental Selon Bertrand Badie, l'occidentalisation du modèle politique va entraîner dans les sociétés réceptrices des désordres internes et externes. [...]
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