Le phénomène des diasporas est ancien, mais il a connu un regain d'intérêt dans les relations internationales après la Seconde Guerre Mondiale et l'accélération des migrations à l'échelle internationale. Dans l'histoire des religions, le terme a été réservé à la dispersion des Juifs exilés de leur pays. Au début du XXème siècle, il a été étendu aux Arméniens chassés de leur terre. Dans les dernières décennies, la notion de diaspora a perdu sa connotation tragique : elle désigne des communautés d'expatriés qui préservent une identité commune, qui ont gardé des références et des pratiques renvoyant à leur pays d'origine et qui sont en relation collective organisée.
Si le sens de la notion a évolué dans le temps, son rapport à l'espace et au territoire semble avoir conservé son ambivalence : les diasporas se jouent des logiques territoriales, mais nombre d'entre elles n'ont paradoxalement de sens qu'en référence à un territoire originaire. Les diasporas viennent ainsi disputer aux territoires la fonction de référent identitaire qu'ils détiennent d'ordinaire. De plus, le territoire est l'une des composantes de la réalité matérielle de l'Etat Nation et de sa souveraineté. Remettre en question sa logique revient à s'interroger sur la pertinence des concepts de premier rang dans l'analyse des espaces mondiaux : l'Etat, la frontière et la souveraineté.
L'importance croissante des diasporas depuis la fin de la Guerre Froide ainsi que leurs récentes évolutions doivent-elles nous amener à substituer à la conception classique de la territorialisation des identités et de l'identitarisation des territoires une vision plus moderne, celle de la déterritorialisation des identités ? Mais plus largement, les diasporas remettent-elles en question la lecture très européenne de l'espace mondial, en termes d'Etats, de souveraineté et de frontières ? Doit-on envisager l'obsolescence et donc le dépassement de ces notions ?
En effet, la notion de diaspora semble échapper à toute territorialité, tant les communautés transétatiques parviennent aujourd'hui, notamment grâce aux nouvelles technologies, à tisser des réseaux d'ordre divers qui interrogent les catégories d'analyse usuelles de l'espace mondial. Mais il serait précoce d'annoncer la fin des Etats au nom des diasporas, car ces dernières sont encore imprégnées de référence à la territorialité, en tant qu'elles se constituent autour d'une origine souvent fictionnée, ou en tant qu'elles visent à l'établissement de frontières reconnues au niveau international.
[...] La diaspora classique étant originellement territoriale, elle le reste souvent implicitement. L'exemple juif en est l'emblème. Ce dernier cas se révèle plus riche encore, puisque dans la seconde moitié du siècle qui vient de s'écouler, deux centres font office de territoire référence : d'une part, l'Etat d'Israël est depuis 1948 est Etat pour les juifs, concrétisation d'une origine symbolique et mythique, mais d'autre part, une judaïté non israélienne dont le centre se situe aux Etats-Unis s'est maintenue. Dans les termes du sociologue Max Weber, on pourrait dire qu'il n'existe qu'une seule communauté subjective, le peuple juif, mais deux communautés objectives différentes. [...]
[...] Enfin, la volonté de se rapprocher physiquement du territoire désigné comme origine de la dispersion reste prégnante. Les exopolities, c'est-à-dire l'ensemble des réseaux permettant à des migrants de participer à la vie politique de leur pays, ont un rapport particulier au temps et à l'espace : leur problème principal est de garder contact avec le groupe car leur but final est souvent le retour au pouvoir. Or, ce dernier ne peut se faire qu'à la condition d'une présence physique réelle. [...]
[...] En témoigne l'exemple étonnant de l'Etat virtuel Cyber Yugoslavia. Mais même à travers cet exemple singulier, on constate que la logique avouée reste en fin de compte territoriale. Les diasporas donnent aujourd'hui une vision d'un avenir défait de ses références territoriales, mais elles restent prisonnières des catégories classiques d'Etat et de frontières. Les diasporas signalent la persistance des territoires comme leur dépassement, le monde ancien comme le monde à venir. Reste que certains sont plus en avance sur ce futur que d'autres. [...]
[...] La diaspora chinoise, l'une des plus importants du monde, illustre la persistance d'une logique territoriale locale. Ce ne sont en effet que quelques villes qui sont des lieux d'émigration : les qioxing. Il s'agit de lieux de réception de l'argent envoyé par les émigrés, mais aussi de points de départ, et de retour pour ceux qui veulent construire une maison grâce à l'argent gagné à l'étranger. La logique territoriale semble subsister ; tout au moins n'y a-t-il pas de réseau monde qui s'en jouerait parfaitement. [...]
[...] On le voit notamment à travers les exemples des diasporas chinoises et indiennes. E. Ma Mung, à l'occasion d'une étude du cas chinois, caractérise cette diaspora par la multipolarité (résidence dans plusieurs pays) et l'interpolarité (existence de liens entre les pôles). Plus que des marginaux sécants qui opposent à une entité territoriale le plus souvent européenne un autre mode d'identification, les diasporas sont de tels nœuds de réseaux Cette première approche des diasporas nous enjoint à questionner l'arsenal conceptuel usuel, et à envisager la fin d'un espace mondial perçu uniquement en termes de territoires, mais aussi de frontière et d'Etats. [...]
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