Régulièrement paraissent dans les journaux - en général quelques lignes, « en bref » - des entrefilets relatant l'ultime péripétie de ce qu'il est convenu de nommer l'affaire Ioukos, du nom d'un des groupes pétroliers les plus puissants de Russie, ensemble d'intrigues mêlant hommes politiques et entrepreneurs économiques, avec en toile de fond la Russie des années 2000 à la recherche d'un modèle économique. L'affaire tient en effet plus du thriller à rebondissement que de politique économique : les deux se rejoignent cependant et cette affaire est intéressante en ce qu'elle permet de souligner, par son exemplarité même, un ensemble d'enjeux de la Russie contemporaine. Il est ainsi intéressant de s'attacher à observer comment un ensemble de faits - les démêlés de M. Poutine et d'un ambitieux oligarque à la tête d'un puissant groupe pétrolier - sont devenus une « affaire », parce que révélateur des recomposions d'un pays, la Russie d'aujourd'hui.
C'est pourquoi, si dans un premier temps, il est nécessaire de revenir sur le détail de l'affaire, d'en retracer les principaux événements, il s'agit d'observer, dans un second temps, comment cette affaire reflète certains enjeux du paysage économique russe, avant dans un troisième temps d'analyser la question du pouvoir, de ce que nous en montre cette affaire.
[...] Il faut dire qu'Abramovitch a les moyens : pour le seul premier semestre de l'année il s'est distribué un dividende de 1 milliard de dollars ! Jusqu'ici, les autres oligarques se sont bien gardés de prendre la défense de Ioukos. Ils se souviennent du sort de Boris Berezovski et Vladimir Goussinsky, qui, au début de l'ère Poutine, ont dû prendre le chemin de l'exil. D'autant que chaque oligarque a quelque chose à se reprocher. Certains, comme Deripaska et Abramovitch, craignent d'être les prochains sur la liste. [...]
[...] Ce mariage qui doit aboutir à la création du quatrième groupe mondial de pétrole en terme de production millions de barils par jour) est jugé inacceptable par Poutine qui ne peut admettre qu'un tel géant soit entre les mains de Khodorkovski. En Juillet 2003, Platon Lebedev, directeur de Minatep et bras droit de Khodorkovski est arrêté pour des prétendus détournements d'actions lors d'une privatisation en 1994, une affaire vieille donc de 9 ans. C'est le début de l'affaire Ioukos et de la mise au pas de Khodorkovski par le Kremlin. Les perquisitions et les arrestations d'associés de Khodorkovski se succèdent. [...]
[...] L'opinion, elle, selon un sondage récent, souhaite aux trois quarts que l'on revienne sur les privatisations. A cinq mois des élections législatives - elles seront suivies en mars de la présidentielle châtier les oligarques devient un slogan racoleur pour récupérer quelques- uns des d'électeurs communistes ! La Douma, plus que la chambre d'enregistrement souvent évoquée, reste un terrain d'affrontement entre clans et groupes financiers ou industriels pour faire passer des législations favorables à leurs intérêts. Même si le parti du Kremlin, Russie unifiée, domine la scène politique, et que l'électorat communiste est stable, Ioukos-Sibneft pourrait devenir une compagnie suffisamment puissante pour "s'assurer les voix" d'une partie de la nouvelle Douma sur des projets de lois clés avoue un responsable chez Ioukos. [...]
[...] L'apparition de multinationales russes inquiéterait le pouvoir. Khodorkovski et Abramovitch, notamment, passent pour des arrogants Les siloviki leur reproche de n'avoir pas été associés d'assez près à leurs projets. Bien installés à Moscou dans le sillage de leur ancien collègue Vladimir Poutine, les hommes du FSB et de son ancêtre le KGB ont eu tout loisir de s'installer à des postes clés. Olga Kryshtanovskaya, sociologue spécialisée dans l'étude des élites, estime que, dans la population de hauts fonctionnaires et de politiciens, un sur quatre est issu des milieux militaires ou du renseignement. [...]
[...] D'abord, le chef du service de sécurité de Ioukos est emprisonné pour un double meurtre. Ensuite, le 2 juillet, Platon Lebedev, le financier du groupe Menatep, actionnaire principal de Ioukos, est amené à Lefortovo, la prison du Service fédéral de sécurité (FSB). On l'accuse d'avoir escroqué l'Etat de centaines de millions de dollars lors de la privatisation d'un fabricant d'engrais, Apatit, en 1994. Plus dramatique, le parquet évoque quatre autres assassinats impliquant des associés de Ioukos. Le 29 juillet, un tribunal moscovite a aussi refusé de libérer Lebedev sous caution. [...]
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