J'ai choisi de travailler sur le service social et la mise à l'écart du père au sein du foyer familial dans notre société. J'ai été interpellée par ce thème lors de mon stage professionnel de deuxième année effectué en polyvalence de secteur. En effet, dans le cadre de la mission de protection de l'enfance et de l'adolescence, j'ai été confrontée à l'accompagnement et au suivi de personnes au cœur de situations familiales, complexes et douloureuses.
La situation d'un homme, Monsieur F., âgé de 35 ans, père d'un petit garçon de quatre ans m'a particulièrement touchée. Monsieur F. est divorcé et le jugement de divorce a prononcé un droit de visite et d'hébergement hebdomadaire. Pourtant, son ex-épouse ayant refait sa vie, refuse d'appliquer ce droit. Monsieur F. est sans emploi, bénéficiaire du Revenu Minimum d'Insertion, il utilise la quasi-totalité de ses revenus dans son combat pour conserver les liens avec son fils. Avec ma formatrice, nous avons rencontré cet homme à plusieurs mois d'intervalle et sa situation n'avait toujours pas évolué. Au cours des entretiens, Monsieur F. nous a fait part de son découragement et de son sentiment d'impuissance. Il a affirmé ne plus savoir vers qui se tourner pour faire appliquer ses droits. A plusieurs reprises, il a dénoncé « les incohérences du système sociétal et le manque de soutien de la justice vis-à-vis des pères ». En effet, conscient de ses obligations et soucieux du bien être de son fils, il continue de verser chaque mois, une pension alimentaire. De plus, malgré l'absence permanente de son ex-compagne, il tient à se rendre au domicile de cette dernière chaque dimanche accompagné de témoins et a déposé deux mains courantes afin de provoquer une réaction de la justice en sa faveur. Pourtant, lors de la révision du jugement d'attribution de la garde de l'enfant, le juge aurait selon lui déclaré fixer la résidence principale de l'enfant chez la mère « compte tenu du peu de relations existant entre le père et l'enfant ». Au moment où Monsieur F. aurait tenté d'expliquer la situation, le juge lui aurait répondu : « Monsieur, ce n'est pas le propos ». L'anéantissement de cet homme rongé par la souffrance de ne pas voir son fils grandir m'a beaucoup émue.
Par la suite, j'ai longuement discuté de cette situation avec ma formatrice. Ces échanges, nous ont permis de faire le constat qu'en matière d'éducation et de prise en charge des enfants, les femmes se déplacent quasi-systématiquement seules au service social. Il est très rare que le père y soit considéré comme un interlocuteur privilégié. Je me suis donc interrogée sur les raisons de cette absence des pères au sein des services sociaux. Mes lectures et mes observations m'ont permis de nourrir ma réflexion. Ainsi, j'ai pu dégager plusieurs constats :
En premier lieu, j'ai pu constater au fil des entretiens menés au sein du CMS une réelle prise de pouvoir des mères en matière d'éducation et de prise en charge des enfants, le père étant pourtant souvent présent au domicile. En effet, il arrive régulièrement que ces dernières évoquent la paternité de leur conjoint en termes de désinvestissement et de désintérêt. Les observations d'une camarade en stage au Réseau d'Ecoute, d'Appui et d'Accompagnement des Parents (REAAP) m'ont particulièrement interpellée. Cette dernière a exprimé le fait qu'au cours des manifestations organisées autour de problématiques liées à la parentalité, elle avait pu constater que même dans les familles unies, les pères restaient souvent « interdits en matière d'éducation », et qu'il était fréquent que les mères aient une part de responsabilité dans cette mise en retrait.
Au vu de ces considérations, je me suis documentée autour de la question de la prise de pouvoir des mères en matière d'éducation.
Au fil de mes recherches, j'ai été confrontée aux théories de différents auteurs, sociologues, juristes, psychologues ou encore psychanalystes. Parmi eux, certains ont mis en avant cette prise de pouvoir des mères en matière d'éducation. Néanmoins, au-delà de mes observations personnelles, j'ai pu constater qu'en la matière, le fonctionnement du système social et les représentations collectives étaient souvent mises en causes. Ainsi, la sociologue Christine Castelain-Meunier parle de l'écart entre la « déresponsabilisation des pères et la suresponsabilisation des mères. ». Je me suis alors demandé si le phénomène de mise à l'écart du père au sein du foyer familial n'était pas dû à un manque de reconnaissance des responsabilités paternelles au sein de la société. En interrogeant ma camarade stagiaire au REAPP, celle-ci a de la même manière, émis l'hypothèse que les pères auraient le sentiment d'être dépossédés de leurs enfants par les structures sociétales (l'école, l'appareil judiciaire, le système social et sanitaire) qui les mettraient en retrait en se contentant souvent de la mère comme unique interlocuteur.
C.Castelain Meunier illustre ce constat en parlant des professionnels de la petite enfance : « qui, à leur grande surprise se surprennent à dire au père : « vous direz à votre femme qu'il a bu son sirop », comme si le monopole de l'éducation était l'apanage des femmes et que le père n'était qu'un relais et pas un acteur éducatif à part entière ».
Afin d'étayer ces propos, je me suis également intéressée au point de vue de la psychanalyste Christiane Olivier citée par R.Warneck. Cette dernière estime que les pères doivent constamment revendiquer et réaffirmer ce droit du lien à l'enfant qui devrait leur être automatiquement garanti en particulier lors des situations de ruptures conjugales. Dans ce cadre, plusieurs auteurs, comme Irène Thery, sociologue du droit et spécialiste des questions sur la famille, ou encore Alain Bruel, juge des enfants, mettent en avant le fait qu'il existerait dans notre société une crise de la paternité en particulier au moment des divorces et des séparations. A.Bruel pose ainsi la question de la part de responsabilité de la justice dans la rupture des liens entre pères/enfants au moment des divorces : « malgré la loi, un grand nombre de tribunaux confient encore de façon quasi-systématique la garde de l'enfant à la mère ». Je me suis alors demandé comment expliquer cette fréquente négation du lien père/enfant en particulier au moment des ruptures conjugales ?
[...] Qu'est ce qu'un enfant pour un père ? Le journal des professionnels de l'enfance, Mai/Juin 2004. P. P 51-56. HURSTEL F. Penser la paternité contemporaine dans le monde occidental : quelles places et quelles fonctions du père pour le devenir humain, sujet et citoyen des enfants ? Neuropsychiatrie de l'enfance et de l'adolescence, P224-230. LE NOUVEL OBSERVATEUR. [...]
[...] D'autre part, la multiplication des structures familiales tend à provoquer la fragmentation de la fonction paternelle entre diverses personnes (beau père, frère, grand-père.). Le père ne parviendrait donc plus à maîtriser ses propres angoisses face à l'absence de modèle. Comment le père peut-il se situer aujourd'hui ? Quelle est sa part de responsabilité dans son actuelle mise à l'écart au sein du foyer familial ? Devant les mutations intrafamiliales et la destitution de la figure paternelle autoritaire régnant sur sa famille, le père, privé de repères, ne cherche-t-il pas à fuir ses responsabilités plutôt que de renégocier une place nouvelle au sein de sa famille ? [...]
[...] De ce fait, il est important de poser un cadre de respect, d'écoute et de non-jugement permettant de rassurer les pères et de leur permettre de s'exprimer librement. Ainsi, il me semble indispensable de solliciter directement le père afin de le rencontrer. J'ai observé, en élaborant mon analyse et au cours de mes expériences de stage, qu'il était souvent difficile de rencontrer les pères, leur investissement professionnel impliquant des contraintes d'horaires. Pour ma part, il me paraît primordial de recueillir son adhésion et de l'introduire dans chaque intervention mise en place le concernant. [...]
[...] Le Camus[42] souligne l'importance de cette forme d'implication susceptible d'engendrer de nouveaux liens affectifs entre le père et ses enfants. Ainsi, le père peut mettre à profit des compétences qui lui sont propres au service de l'éducation et surtout de la socialisation de l'enfant. En effet, il met en avant le fait que les pères, moins protecteurs tentent plus fréquemment que les mères de déstabiliser l'enfant, de le placer dans des situations qui l'incitent à la réflexion et au dépassement de soi. [...]
[...] Un professionnel intervenant au sein de l'association l'EPE constate que globalement, la place du père n'est pas toujours très facile à prendre. Selon lui, beaucoup de pères ont envie de s'investir auprès de leurs enfants, mais ne savent pas comment s'y prendre. De plus, il constate qu'en général, les hommes sont moins en capacité d'oser officiellement se poser des questions. De par leur caractère, ils ont plus de difficultés à avouer leurs manques, leurs doutes et leurs faiblesses. Souvent les problèmes surviennent lorsque l'enfant arrive à l'adolescence. [...]
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