Sensible aux questions éducatives et au soutien à la fonction parentale, j'ai réalisé, en 2003, dans le cadre de ma licence en sociologie, un travail de recherche intitulé « démissionnaires, les parents d'élèves ? » où j'ai pu appréhender le rôle et l'implication des parents dans la scolarité de leur(s) enfant(s). J'ai également, durant la première année de formation d'assistant de service social, mené un travail de réflexion autour de l'homoparentalité pour approfondir mes connaissances sur cette nouvelle réalité familiale. Enfin, j'ai choisi de rédiger, en fin de première année, une note centrée sur « les parents face à la mort de leur enfant » en lien avec mes observations de stage de première année au sein d'un C.M.P.P . J'ai, à cette occasion, analysé l'évolution de la place de l'enfant dans la société et fait état de la souffrance des parents ayant vécu la mort de leur premier enfant. C'est au cours de ce stage, que j'ai eu envie de poursuivre mes recherches relatives aux problématiques familiales et d'explorer un autre thème : celui de la tyrannie infantile.
La « tyrannie infantile » n'est pas un phénomène récent. Ceci étant, elle trouve aujourd'hui, un écho de plus en plus manifeste, dans les nombreux ouvrages qui lui sont consacrés. De même, l'intérêt porté à « l'enfant tyran » dans les médias est relativement visible. Malgré tout, l'aspect quantitatif d'un tel phénomène est difficile à définir. En effet, si la littérature est riche d'articles ou de livres traitant de violences intrafamiliales, c'est souvent de la maltraitance subie par les enfants dont il est question et rarement de la violence exercée par les enfants à l'égard de leurs parents. Or, pour le sociologue Michel Fize : « il y a autant d'enfants martyrs que tyrans ». Et, la violence des enfants envers les parents est bel et bien une réalité. D'ailleurs, les époux Chartier , psychanalystes, ont mis en évidence en 1982, un phénomène encore passé sous silence : la maltraitance des parents. Ces auteurs parlent de « parents martyrs » pour désigner « ces parents réellement menacés, insultés, battus et terrorisés par leurs enfants mineurs ». Cette forme de violence intrafamiliale reste encore tabou. En effet, les parents éprouvent souvent de grandes difficultés à témoigner de leur souffrance : admettre que l'on est martyrisé par son propre enfant est pour eux, un terrible aveu d'échec.
Cette forme de violence intrafamiliale m'interpelle : comment un enfant, quelque soit son âge, peut-il parvenir à exercer une emprise totale sur ses parents au point de les maltraiter ? Cette interrogation me renvoie à des expériences professionnelles, en tant qu'animatrice puis directrice adjointe d'un accueil de loisirs. En effet, j'encadre depuis 1998, des mineurs âgés de 3 à 16 ans et j'observe qu'il est très difficile pour certains parents d'asseoir leur autorité auprès de leurs enfants. La sortie du centre est un moment privilégié où je peux échanger avec les parents : lorsque j'évoque le comportement de leur enfant (insultes, coups de pieds, désobéissance…), ils sont rarement surpris et déclarent avoir les mêmes difficultés à la maison. Les parents expriment alors leur incompréhension : « je ne comprends pas, il a tout, je ne sais pas quoi faire de plus ! ». Ces comportements s'apparentent-ils à ce que l'on nomme « tyrannie infantile » ? Qu'est-ce qu'un enfant tyran ?
Lors de mon stage de découverte au C.M.P.P, j'ai rencontré des parents complètement désemparés et culpabilisés par leur entourage, se considérant comme de « mauvais parents ». Ils étaient très inquiets quant au comportement de leur enfant (agressivité, colères fréquentes, enfant contestataire…) et ne savaient plus quelles réponses y apporter. Une mère nous a déclaré, une fois, qu'elle craignait les colères de sa fille et pour les éviter, elle cédait à la moindre contrariété. Très souvent, les difficultés étaient liées à l'autorité : « il n'obéit pas, il ne respecte aucune limite » ou bien « c'est lui qui commande, il fait ce qu'il veut ». Le jeune âge de l'enfant (très souvent 2-3 ans) et la souffrance exprimée par les parents m'interpellait : Comment expliquer que certains parents rencontrent de telles difficultés pour se faire respecter et pour poser des limites à leur enfant ? Comment expliquer qu'un tel renversement de situation ait pu s'opérer au sein de la cellule familiale ?
Au C.M.P.P, la prise en charge médico-psychosociale est essentiellement centrée sur l'enfant, seuls les assistants de service social formés aux entretiens familiaux travaillent avec l'ensemble des membres de la famille pour « soulager leur souffrance et individualiser chaque membre, pour modifier la représentation que chacun des membres de la famille a du problème » . Comment se manifeste cette souffrance ? Quelles sont les limites d'intervention de l'assistant de service social pour répondre à cette souffrance ? A partir de quel moment doit-il solliciter les partenaires, et quels partenaires ?
J'ai souhaité réfléchir à la place et au rôle de l'assistant de service social dans l'accompagnement qu'il pouvait proposer à ces familles : Comment accompagner les parents en difficulté dans l'éducation de leur enfant ? Quel rôle peut-il jouer auprès des enfants opposants ? Avec quelle légitimité peut-il intervenir auprès des parents pour les aider à tenir ou reprendre leur rôle auprès de leur enfant ?
L'accompagnement des familles en difficulté n'est pas une nouveauté, il figure parmi les missions des départements depuis les premières lois de décentralisation en 1982. C'est au service de l'Aide Sociale à l'Enfance que revient plus particulièrement cette mission « d'apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique aux mineurs, à leur famille … confrontés à des difficultés sociales susceptibles de compromettre gravement leur équilibre » . Et, depuis la conférence de la famille en 1998, les pouvoirs publics ont mis en place les R.E.A.A.P considérant alors que la cellule familiale, qui est le premier lieu de socialisation de l'enfant, devait être soutenue. Ce dispositif national permet la mise en réseau d'actions visant à conforter, à travers le dialogue et l'échange, les compétences des parents. Comment les professionnels de terrain se saisissent-ils de cet outil pour accompagner les parents ? Comment font-ils pour redonner confiance, révéler et valoriser les compétences parentales ? Quelle forme peut prendre le travail réalisé avec les familles ?
Le travail en partenariat est au cœur des réflexions actuelles en matière de la protection de l'enfance. En effet, l'évaluation des situations familiales nécessite très souvent des regards croisés pour apprécier la notion de danger encourue par les enfants. Toutefois, le secret professionnel auquel sont soumis les assistants de service social les oblige à rester vigilants quant aux informations qu'ils délivrent sur les familles. Ainsi, pour faciliter le travail partenarial, deux lois ont été votées le 5 mars 2007 : « l'une se préoccupe de l'enfance en danger, l'autre de l'enfance dite dangereuse » . Quelle loi concerne « l'enfant tyran » ?
Enfin, les travailleurs sociaux sont quelquefois repérés comme des personnes qui détiennent les clés de la « normalité ». Ainsi, je me demande comment font-ils pour rester neutres et objectifs alors qu'ils constituent le premier outil essentiel à l'exercice de cette profession ? Comment ne pas transposer ses propres façons de faire et ne pas « normaliser » un certain nombre de pratiques éducatives ? Comment poser le recul nécessaire par rapport à sa propre histoire et ses propres représentations ?
A partir de ce cheminement, j'ai pu dégager une question initiale en lien direct avec ma future profession d'assistant de service social : « Enfants tyrans, parents souffrants : comment l'assistant de service social peut-il accompagner et orienter au mieux ces familles ? »
Pour développer ces différents points, je vais dans un premier temps, présenter la partie exploratoire de ce travail au cours de laquelle j'ai interpellé plusieurs professionnels de terrain afin qu'ils me fassent part de leurs expériences et réflexions sur le thème de l'enfant tyran. A partir de mes recherches bibliographiques et de mes observations de stage, j'exposerai le cheminement de la réflexion qui m'a permis de reformuler ma question initiale en une véritable question de départ.
J'aborderai, dans une seconde partie, le concept d'autorité et ses conséquences sur le développement de l'enfant afin d'apporter un éclairage théorique à l'approche empirique. Je présenterai alors la construction du modèle conceptuel et les auteurs de référence sur lesquels je me suis appuyée. A l'issue de cette partie, j'énoncerai les deux hypothèses qui découlent de ce travail de réflexion.
Dans une troisième partie, j'évoquerai la manière dont je conçois vérifier mes hypothèses en présentant l'outil utilisé et le public concerné. Cette démarche méthodologique sera explicitée afin de démontrer que mes propositions sont abordables et réalistes.
Je conclurai ce travail en insistant sur les apports professionnels mais aussi personnels de cette recherche.
[...] Stéphanie : et par rapport au soutien à parentalité en général puisque ça fait un petit moment que tu es sur le terrain, as-tu l'impression que les pratiques professionnelles ont évolué ? Isabelle : il a plus d'actions de soutien à parentalité je trouve, il y a quand même plus d'actions collectives, l'espace de parole pour les parents. Stéphanie : et par rapport aux parents, le regard que les professionnels portent sur les parents ? Isabelle : est-ce que ça a évolué ? Comment ça a évolué ? Je réfléchis. [...]
[...] Quelque soit la forme, ces structures ou dispositifs permettent aux parents de supporter une situation actuellement éprouvante pour eux. L'autorité parentale est destinée à pallier l'incapacité dans laquelle se trouve un enfant d'assurer seul sa sécurité, sa santé, sa moralité. Les parents ont le devoir de protéger leur enfant. Or, lorsque les parents n'ont plus d'autorité sur leurs enfants et que ces derniers deviennent tyrans : qui les protège ? C'est dans le cas, et seulement celui-là, où ils ne remplissent pas leur rôle, que les pouvoirs publics interviennent[52]. [...]
[...] Les familles monoparentales et recomposées ne sont pas, pour autant, les seules confrontées aux problèmes d'autorité. Il s'avère, en effet, que les familles dites nucléaires rencontrent, elles aussi, ce genre de difficultés. La plupart des parents mettaient l'accent sur le comportement de l'enfant auquel il fallait mettre un terme, l'incompréhension dans laquelle ils se trouvaient en tant que parents de cet enfant là ainsi que le stress, la peur et l'anxiété générés par ce quotidien. Très souvent orientées par l'école, le médecin de la P.M.I[19] ou le psychologue scolaire, ces familles venaient au C.M.P.P avec la promesse que l'institution trouvera une solution à leurs difficultés Mais, ma formatrice terrain me dit aussi être très démunie pour répondre à ses parents Pour elle, le temps que les parents n'ont pas pris conscience que les enfants ne devaient pas faire ce qu'ils veulent, il n'y a pas de travail possible avec ces familles Ainsi et travaillant au sein d'une équipe pluridisciplinaire, elle pense qu'il est opportun, d'ouvrir cette enquête à d'autres professionnels de terrain : thérapeutes et psychologues plus en mesure d'écouter la souffrance des parents et elle insiste sur le rôle des éducateurs de jeunes enfants qui interviennent plus quotidiennement auprès des familles dans la relation parents / enfants. [...]
[...] et Van Campenhoudt L. [...]
[...] C'est pourquoi l'assistant de service social ne peut seul, évaluer ce danger. Or, en matière de protection de l'enfance, l'évaluation des situations familiales est fondamentale. Le terme évaluation est clairement défini par l'O.D.A.S : l'évaluation est un regroupement d'informations connues par au moins deux professionnels afin d'apprécier la réalité du danger encouru par l'enfant, la capacité d'adhésion de la famille à un projet d'aide, et de faire des propositions de protection immédiate ou de prévention. C'est grâce à cette évaluation que l'on pourra notamment distinguer les enfants à risque des enfants maltraités Un travail pluridisciplinaire paraît nécessaire dans le cadre de la tyrannie. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture