L'ouvrage de Vincent Dubois est le produit d'une enquête de terrain menée par l'auteur à la demande de la caisse d'allocations familiales (CAF). Durant le printemps et l'été 1995, l'auteur a ainsi passé six mois au sein de deux caisses d'allocations familiales. Son enquête a porté principalement sur le personnel travaillant à l'accueil des usagers. La fonction d'accueil des employés d'une CAF consiste en la réception de personnes qui viennent ouvrir ou compléter un dossier, demander des explications ou formuler des plaintes quant au traitement de leur dossier. Outre les diverses allocations familiales (une bonne vingtaine aujourd'hui), la CAF intervient dans les dossiers de prestations comme le RMI ou l'AAH (allocation adulte handicapé). Les deux caisses qui constituent le terrain d'enquête de Vincent Dubois sont situées dans des départements composés chacun d'une ville centre, de zones urbanisées à forte proportion de pop immigrées et de zones rurales. Le public auquel les agents sont confrontés à l'accueil est principalement un public à faibles revenus, pour lequel les diverses prestations sociales sont cruciales. C'est aussi un public de niveau scolaire moyen modeste, ce qui ne le prédispose pas à maîtriser les subtilités, qui sont grandes, de la constitution des dossiers ou de la gestion d'une relation avec l'administration.
[...] Leur position d'autorité leur permet d'émettre des jugements ou des recommandations qui ne sont pas exigés par leur fonction mais que celle-ci rend possible. Ensuite, cette enquête veut permettre de rendre compte de l'ambivalence du rapport à l'institution, qui produit à la fois du “lien social” et de la coercition, contribue à aider les personnes en difficulté à “faire en même temps qu'à les maintenir à leur place Vincent Dubois montre que les agents donnent forme à des vecteurs d'imposition normative et à des vecteurs d'intégration, en faisant alterner dans le même temps réconfort et sanction. [...]
[...] La CAF a clairement un rôle dans le traitement de la précarité. Vincent Dubois parle d'une transformation de la vocation de l'institution On est loin de l'image d'une institution lointaine et déshumanisée. L'auteur conclut que la CAF, souvent perçue comme une administration humaine joue un rôle de plus en plus important dans la vie sociale de nombreux allocataires. Une conclusion importante même si elle doit être prise avec précaution. L'enquête s'est en effet déroulée uniquement dans les locaux de la CAF et a davantage porté sur les personnels (uniquement les agents de l'accueil) que sur les usagers. [...]
[...] Elle montre ainsi la place croissante qu'occupent les administrations dans la vie sociale des exclus. D'une part, l'accueil des CAF est un lieu de convergence des acteurs sociaux en situation précaire qui devient clairement dans le même temps un lieu de socialisation des exclus et d'entretien des relations sociales. D'autre part, à l'évolution du public correspond une évolution de la fonction de l'institution, à travers le personnage du guichetier. Les usages du guichet se sont ainsi modifiés dans le sens d'une diversification des demandes. [...]
[...] Ce nouveau public conduit les guichetiers à développer des stratégies de protection : Vincent Dubois évoque ainsi la nécessité d' un rapport au moins partiellement maîtrisé à la souffrance des autres. Mais cela les amène aussi à user d'autant plus des stratégies liées au double corps du bureaucrate D'une part, en s'adaptant à ce nouveau public à travers une relation plus personnalisée, d'écoute et de gestion de la misère D'autre part en tentant dans le même temps de maintenir l'ordre institutionnel qui leur apparaît plus menacé qu'avant. [...]
[...] Mais Vincent Dubois note que cela permet aussi au bureaucrate de jouer sur les deux tableaux Il explique, citant Pierre Bourdieu, que le double jeu est inscrit au titre de possibilité dans toute interaction bureaucratique Mais l'auteur montre que le jeu de rôle se met en place des deux côtés du guichet. Du côté de l'agent, il s'agit d'obtenir un consentement et tout l'enjeu de l'interaction est d'obtenir ce consentement de la manière la plus aisée possible. Mais le jeu de rôles concerne aussi l'allocataire qui le plus souvent fait profil bas selon Vincent Dubois. Soit, il ne possède pas les ressources sociales et intellectuelles pour s'opposer à ce consentement, soit il estime de manière rationnelle qu'il a intérêt à se conformer au rôle que l'agent attend de lui. [...]
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