"En cette fin de millénaire, écrit Tzvetan Todorov, les Européens, et tout particulièrement les Français, semblent littéralement obsédés par un culte : celui de la mémoire." Les Abus de la mémoire, texte présenté pour la première fois au congrès "Histoire et mémoire des crimes et génocides nazis" en novembre 1992, ouvre un débat fondamental sur la question de la mémoire telle qu'elle est conçue et employée dans les sociétés occidentales contemporaines, et particulièrement en France. Cet ouvrage court et incisif interroge de façon critique les usages éthiques et politiques de la mémoire, ouvrant la voie à une discussion passionnante et dense, rendant compte ainsi de l'importance de ce thème dans les sphères intellectuelles contemporaines (...)
[...] Il n'était pas question d'écrire quoi que ce fût d'autre. Cela aurait été dérisoire, ignoble peut-être. La question de l'usage de la mémoire ne doit en aucun cas éclipser le fait que certaines mémoires provenant de témoignages sont extrêmement vives, présentes, cicatricielles certainement, mais cicatrices à plaie ouvertes. Par conséquent évoquer les usages de la mémoire, lorsque la mémoire est liée à un évènement proche ne peut être vue uniquement dans un objectif utilitariste, et bien que Todorov évoque le droit à l'oubli, il n'insiste absolument pas sur cette dimension où l'oubli ne sert pas à prévenir des conflits, mais permet à un individu de se reconstruire. [...]
[...] Or la comparaison soulève forcément les points communs et affaiblit donc l'hypothèse de l'unicité absolue. Le point fondamental porte non pas sur l'utilité de comparer deux faits historiques, mais de souligner que la singularité d'un évènement nous empêche tout usage exemplaire de celui-ci. Pour que la collectivité puisse tirer profit de l'expérience historique, elle doit reconnaitre ce que celle-ci peut avoir en commun avec les réalités contemporaines. La revendication du superlatif permettant de hiérarchiser les crimes contre l'humanité soulignant que le crime condamné est le pire fait oublier qu'au delà d'un certain seuil, les crimes contre l'humanité ont beau rester spécifiques, ils se rejoignent dans l'horreur et la condamnation absolue qu'ils suscitent. [...]
[...] Face à la froide mais utile machinerie dénuée de toute aura de Todorov distinguant les usages de la mémoire, Améry nous rappel la dimension humaine de celle-ci. [...]
[...] Éclaircissant sa pensée, Todorov rappel que la mémoire ne s'oppose nullement à l'oubli. Au contraire elle est intimement liée à celui-ci: la mémoire est toujours et nécessairement une interaction de l'oubli et de la conservation. La restitution intégrale du passé telle que décrite par Luis Borges dans Fictions est impossible et par ailleurs effrayante: la mémoire est forcément le résultat d'une sélection. Les bourreaux totalitaires se voient reprochés conséquemment, non le fait de retenir certains éléments du passé plutôt que tous, mais qu'ils s'arrogent le droit de contrôler le choix des éléments à retenir. [...]
[...] Todorov analyse les usages de la mémoire et souligne en premier lieu les dérives que ceux-ci ont suscité. Étudiant différents cas historiques, l'auteur souligne qu'une mémoire peut maintenir de vieilles rancunes et tensions, ayant ainsi un potentiel destructeur colossal. Les justifications données par de nombreux serbes pour expliquer la guerre ayant suivi l'implosion de l'ex Yougoslavie sont à ce titre édifiant, les massacres étaient vécus comme une revanche sur ceux subies dans le passé proche de la seconde guerre mondiale, mais aussi lointain perpétrés par l'empire Ottoman. [...]
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