Norbert Elias se fonde sur l'analyse sociohistorique de la période féodale pour démontrer que l'organisation sociale qui prédomine à cette époque n'est pas compatible avec l'établissement d'un pouvoir politique centralisé, caractéristique de l'État moderne. Durant la période médiévale, la souveraineté se trouve éparpillée entre de nombreuses familles en raison de l'organisation sociale qui fonctionne sur le mode de la vassalité instaurant des relations d'allégeance entre les hommes (le vassal d'un seigneur pouvant être le suzerain d'un autre homme). Ainsi, au fur et à mesure que les relations d'homme à hommes se multiplient, l'autorité publique se disperse et se trouve divisée en une multitude « d'unités de domination » selon les termes d'Elias. Désormais, le pouvoir de commander, de punir et de taxer les populations se répartit entre un nombre croissant de ces unités de domination. On retrouve dans le discours d'Elias des influences du sociologue allemand Max Weber qui a également mentionné cette situation de dispersion du pouvoir durant la période féodale. Dès lors comment expliquer que l'État ait pu se construire à partir d'une telle situation ?
Pour Elias, la genèse de l'État moderne peut être comprise comme le résultat d'un processus concurrentiel entre divers seigneurs indépendants prétendant à l'hégémonie sur le territoire de la France. C'est donc cette concurrence qui va déclencher ce qu'Elias qualifie de mécanisme monopolistique. Plusieurs facteurs contribuent à exciter cette compétition : l'accroissement important de la population aux XIIe et XIIIe siècles et les défrichements, le développement d'un commerce de luxe offrant des produits coûteux aux plus fortunés, l'affirmation de valeurs nobiliaires qui exaltent les qualités guerrières des seigneurs et font de leur prise d'armes une véritable cérémonie (l'adoubement). Une telle société est par définition instable, faute d'un pouvoir supérieur susceptible de faire accepter ou d'imposer des arbitrages. La compétition est féroce dans le pays, car à cette époque seule la propriété terrienne est synonyme de moyen de subsistance et de puissance sociale. Elle permet aux seigneurs de vivre et de financer des mercenaires pour conquérir de nouvelles terres. Ainsi, les seigneurs doivent sans cesse guerroyer pour maintenir leur position ou accroître leur domination territoriale. Ces derniers n'ont pas le choix, ils doivent imposer leur hégémonie ou ils perdront leur indépendance et donc leur position sociale. Ce sont donc les luttes concurrentielles entre les seigneurs de la fin de l'empire carolingien qui vont provoquer une concentration croissante du pouvoir au profit des vainqueurs. Des seigneurs dotés de forces sociales égales vont rivaliser pour « la conquête des chances de puissance sociale » c'est-à-dire pour s'assurer le contrôle de territoires de plus en plus vastes et ces luttes éliminatoires aboutiront à la formation d'un monopole entre les mains du vainqueur. (...)
[...] Selon Elias, il s'agit là de des moteurs les plus puissants de la transformation de contraintes extérieures en auto contraintes.»[6] La vie à la Cour impose une maîtrise de soi et une régulation de son émotivité mais implique aussi ce qu'Elias appelle la psychologisation. Il s'agit d'observer les autres dont on dépend, de tenter de comprendre ce qui motive leurs actes et d'anticiper leurs conséquences. Le courtisan doit adopter un certain comportement afin de ne pas mettre en péril son existence sociale. La rationalisation de l'homme de cour va s'exprimer par sa retenue. Il va prendre l'habitude de tenir compte du prolongement de ses actes. [...]
[...] C'est précisément la mise en place d'un appareil de domination différencié qui garantit la pleine efficacité du monopole militaire et financier, qui en fait une institution durable. Dorénavant, les luttes sociales n'ont plus pour objectif l'abolition du monopole de la domination, mais l'accès à la disposition de l'appareil administratif du monopole et la répartition de ses charges et de ses profits. C'est à la suite de la formation progressive de ce monopole permanent du pouvoir central et d'un appareil de domination spécialisé que les unités de domination prennent le caractère d'État.» Le maintien d'un monopole central sur l'ensemble du territoire implique donc la mise en place d'un appareil administratif constituée d'individus assignés à un tâche précise. [...]
[...] C'est par ce biais que le monopole va se socialiser et va devenir un monopole public qui échappe aux mains du Roi. un monopole qui repose sur une différenciation des fonctions sociales et sur l'équilibre des tensions entre les groupes sociaux La différenciation accrue des fonctions sociales entre les individus et l'interdépendance toujours plus poussée entre les groupes sociaux qui en résulte est caractéristique de ce qu'Elias qualifie de phase absolutiste. Pour expliquer ce phénomène de concentration du pouvoir de l'État, le sociologue montre qu'il est rendu possible par une division accrue des fonctions sociales entre les individus. [...]
[...] En réalité, nous dit Elias, c'est la transmission d'un ensemble de règles et de codes durant sa prime enfance que l'individu va intérioriser. Ainsi, l'homme se trouve doté d'un surmoi inconscient qui va s'appliquer à contrôler chaque situation de la vie sociale. A la lecture de cette théorie, on ne peut s'empêcher de voir l'influence de la théorie freudienne sur le travail de Norbert Elias. En voulant expliquer le processus de rationalisation du psychisme individuel,il reprend clairement la notion freudienne du ça, moi et du surmoi. [...]
[...] Il s'est approprié la théorie freudienne pour établir le lien entre des phénomènes de la conscience humain et la structure sociale. Néanmoins il s'éloigne de Freud qui accorde peu de place à l'histoire dans la formation de la structure psychique individuelle et qui s'attache plutôt aux contraintes biologiques. Elias attribue cette transformation de la structure psychique des individus à l'évolution des structures sociales, qui se forme tout d'abord parmi les élites sociales (la noblesse) pour ensuite se diffuser vers les couches inférieures de la société. [...]
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