Là où règne la pensée binaire, qui ne peut que disjoindre les notions de juif et de gentil, il est impossible de concevoir la réalité la plus importante des temps modernes, inséparable de l'émancipation des Juifs dans les nations laïcisées, et qui ne peut s'exprimer que par la notion de judéo-gentil.
En guise d'introduction, Morin affirme sa volonté de souligner la complexité aussi bien du judaïsme et de sa définition, que de celle de l'antisémitisme, et ce en mettant en rapport ces termes avec leur histoire.
I. Juifs, Chrétiens, Judéo-Gentils
1. Judaïsme et christianisme. L'antijudaisme
Tant qu'il y eut un royaume de Juda, puis une province romaine de Judée, la notion de juif étant à la fois :
- religieuse (religion mosaïque)
- ethnique (appartenance au peuple hébreu)
- nationale (nation ayant pour capitale Jérusalem)
Après la destruction de la nation, le pays étant devenu province de Syro-Palestine et colonie romaine interdite aux Juifs après l'écrasement de la révolte de Bar Kocheba (132-135), le peuple, dispersé restait lié par sa tradition religieuse.
- Aussi bien le polythéisme romain (Le judaïsme refusant l'intégration au polythéisme et condamnait la pluralité des dieux comme idoles), l'universalisme grec et le nationalisme égyptien considéraient la singularité juive comme une tare séparatrice.
- A l'époque romaine, le judaïsme s'était diversifié en multiples courants :
- Sadducéens : rejettent l'interprétation de la Torah faite par les Pharisiens et plus exactement le Talmud qui s'en suivra.
- Pharisiens : Le mot pharisien vient du terme hébreu péroushim, séparés. Le respect rigoureux de la Loi Juive forçait en effet les Juifs pieux à se séparer de la majorité assimilée au monde gréco-latin pour des raisons rituelles.
- Esséniens : Communauté fermée, d'organisation monastique, retirée dans le désert, sur les rivages inhospitaliers de la mer Morte, les Esséniens communiquent à leurs seuls initiés un enseignement ésotérique. Purs entre les purs, on les a parfois définis comme des Pharisiens au superlatif.) (...)
[...] Avec la guerre des six jours (juin 1967), où l'Etat hébreu devient occupant, colonisateur et répresseur, Israel et les institutions juives de la diaspora s'emploient à rappeler le martyre juif passé, non seulement par devoir de mémoire mais aussi, et de plus en plus, pour que ce martyr occulte les souffrances subies par le peuple palestinien. Dès lors il se constitue une éthique judéo- centrique considérant l'assimilation comme un crime, et rappelant sans cesse Auschwitz. De fait, le sionisme, dès son origine, jusqu'à la création d'Israël et au delà, fût une conséquence directe de l'antisémitisme. Et voici le grand paradoxe historique: après la Seconde Guerre mondiale, l'antisémitisme européen s'est discrédité à tous les niveaux, ce qui s'est traduit par des repentances multiples. En même temps, le monde des gentils occidentaux est devenu transnational. [...]
[...] Reste enfin la question de l'ère planétaire. Nous sommes encore au cœur d'un processus qui homogénéise et par là même ressuscite en réaction des fermetures culturelles, nationales, religieuses. Nous sommes donc en même temps au coeur d'un processus de balkanisation et de fragmentation, qui s'effectue malgré et à cause de l'unification homogénéisante. "Il nous faudrait concevoir inséparablement la diversité des cultures et l'unité de l'espèce humaine. Il nous faudrait reconnaitre à la fois la diversité de l'unité et l'unité de la diversité. [...]
[...] A l'universalisme succède son contraire le judéo-centrisme Les deux démarcations La frénésie universaliste et la frénésie judéo-centrique constituent deux modes opposés pour échapper à la malédiction juive: - La première en dissolvant l'identité juive dans une identité humaine à part entière - La seconde en ressuscitant l'intégralité de l'entité juive dans une nation souveraine Ces deux modes témoignent des deux infirmités de la conscience juive: universalisme abstrait, judéo-centrisme abstrait. Conclusion A la différence de la notion de judéo-gentil, la notion de juif élimine toute complexité identitaire dans le monde moderne. Elle réduit le judéo- gentil à la seule détermination juive et l'y enferme. Chez l'antisémite, elle exclut le juif de l'humanité. [...]
[...] Ainsi toute conscience universaliste tend à réduire, voire endormir, la composante juive, mais toute virulence de l'antisémitisme la revivifie Les anciens judéo-gentils Le phénomène judéo-gentil des temps modernes a des antécédents originaux dans l'Antiquité. Le métis culturel judéo-romain. Saul par exemple, devenu Paul, va universaliser la mission rédemptrice du Sauveur Jésus. Le caractère judéo-gentil s'est aussi manifesté dans la création de l'Islam, Mohamed ayant été fortement influencé par le judaïsme. Première conclusion: De diverses façons, les judéo-gentils ont participé activement à la formation du monde moderne. Cosmopolitisme capitaliste et internationalisme socialiste furent les deux pôles extrêmes et antagonistes du monde judéo-gentil. II. La séparation dans l'insertion 1. [...]
[...] Post-marranisme: Les inquisiteurs avaient bien perçu que le marranisme pouvait être source de scepticisme et de rationalisme. Chez quelques marranes, la collision mentale des deux religions provoqua la désintégration de la foi en l'une et l'autre. C'est ce que l'on peut appeler le post-marranisme, illustré par Michel de Montaigne, Baruch Spinoza, Francois Sanchez, Uriel Da Costa, Juan de Prado. S'il est bien connu que la Renaissance régénéra la source grecque, et permit l'essor de l'humanisme en Europe, on ignore en revanche qu'une des origines les plus riches et les plus profondes de l'humanisme universalistes se trouve dans le post-marranisme La participation à l'essor économique A l'aube des temps modernes, la diaspora juive favorisa les réseaux de confiance propices aux développements de la banque et du commerce. [...]
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