L'ouvrage de Michel Kokoreff: La force de quartiers, « de la délinquance à l'engagement populaire » (Payot, 2003) se veut une réquisition à charge contre le « mythe » de la banlieue moderne, assimilée à tous les maux de la société. Plus qu'un réquisitoire, c'est un plaidoyer pour une reconnaissance du potentiel de transformation sociale qu'elle porte. Sa démonstration repose sur une enquête de près de dix ans menée à l'échelle microlocale dans les quartiers Nord d'Asnières, vaste zone d'habitat social et « mosaïque de sous quartiers et de cités », véritable nœud, point de réseau entre des grands ensembles et du pavillonnaire dégradé sur la commune de Gennevilliers.
[...] Via l'analyse historique, ce livre se veut enfin une dénonciation, celle des politiques menées. Ainsi note-t-il sans concessions que cette clôture n'est donc pas une pathologie ou une déviance : elle a été voulue Il ressort ainsi en permanence des entretiens le manque de moyens, l'inadéquation des politiques d'intermédiaires et la visée occupationnelle de l'animation, sans portée politique. L'étude des projets menés depuis quelques décennies ainsi que celle d'un dispositif de médiation dans la ville étayent les discussions avec les acteurs locaux : il en ressort la complexité des institutions, leurs interférences néfastes, l'absence d'une visée durable et surtout le caractère soit compassionnel soit répressif maintenant de fait dans les mentalités l'exclusion. [...]
[...] Dans la continuité de ces travaux sur les revalorisations des banlieues, cet ouvrage est donc intéressant par l'analyse à un niveau local des dynamismes existants, du potentiel de ces espaces. Certes sans concession, on peut néanmoins déplorer cette impression fugitive d'un regard partisan, celui qui traque sans cesse les petits signes du changement ou d'une éventuelle amélioration de la situation. S'il y a sans nul doute une aspiration populaire dans ces quartiers, elle n'en demeure pas moins parcellaire et incertaine, et il serait instructif de connaître le destin de ces jeunes et de ce quartier pendant les récentes crises des banlieues, tant alors l'équilibre semblait fragile. [...]
[...] Ainsi, les premiers résultats n'arrivèrent qu'après une présence longue, fréquente du sociologue sur le terrain, d'abord facilitée par des rencontres grâce à des intermédiaires (des agents sociaux en particulier) puis par des déplacements sans médiateur marqué par des rencontres et discussions au hasard. Michel Kokoreff étaye dans un second temps son enquête à Asnières par un travail de comparaison avec les villes voisines, Nanterre en particulier, mais également par des entretiens en prison. Le dernier temps de l'enquête est un retour sur le terrain à Asnières, où les rendez-vous sont pris à l'avance, retour permettant d'établir des parcours de vie depuis dix ans. [...]
[...] L'histoire culturelle et urbaine est également fortement sollicitée : l'imaginaire urbain des peurs sociales, les mentalités de la crainte, de la méfiance y sont omniprésentes. Cette explication par les mentalités ne peut cacher non plus une réflexion d'histoire sociale, marquée par la transformation de la société, le déclin des grandes idéologies collectives, de ces mythes des ouvriers unis et regroupés dans leur commune. À travers elles se retrouve cette tradition teintée de marxisme d'une lutte collective, de la prise de conscience sociale chez les jeunes, mais qui, dans la société actuelle plus individualisée, prend la figure de l'agôn bourdieusien, de la permanence du conflit, de l'embrouille comme mode de régulation sociale. [...]
[...] S'il détruit le mythe de la délinquance et de la drogue généralisée, aucune évidence collective n'est apparente : le seul garant d'une identité collective est le quartier, quand les grandes idéologies sociales s'affaissent. L'étude du processus historique, bien plus large qu'une vie, est donc alors incontournable : en reprenant les étapes de la construction de ces espaces en marge, Michel Kokoreff marque la permanence de l'imaginaire dépréciatif accordé aux banlieues, qui se marque dans le discours même des personnes rencontrées. [...]
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