Cet ouvrage rend compte des justifications que les femmes donnent de leur plus forte implication domestique. Comme toute inégalité, elle ne peut se produire et se reproduire que si et seulement si elle est recouverte par une légitimité qui la justifie. (référence à P. Bourdieu et J.C. Passeron 1970)
Ce livre montre que les inégalités domestiques ne peuvent s'expliquer uniquement en référence à la domination masculine. D'une part, il y a une pluralité des enjeux de la vie conjugale hétérosexuelle. Dans les milieux populaires partisans de la fusion (Schwatz, 1990) il y a une division stricte du travail et des territoires (De Singly, 2002). Il est difficile d'articuler construction du couple et construction de soi (référence à la trame conjugale de Kaufmann, 1992). D'autre part, la prise en charge plus grande par la femme peut s'expliquer par la construction du genre. Certaines tâches sont considérées comme féminines et d'autres moins nombreuses sont considérées comme masculines. Cette production d'étiquettes est le résultat de la domination masculine qui est parvenu à cantonner le féminin surtout dans la sphère privée (Perrot, 1987 ; Fraisse, 2000). Mais le genre n'a pas qu'un sens dominant/dominé, il permet aussi à chacun d'avoir une identité sexuée.
Il y a une tension entre ces deux types de genre : « celui qui est le support de la domination masculine et celui qui trahit le souhait d'avoir au sein de son identité un « genre », une dimension sexuée ». Exemple : les journaux « féminins » où l'on trouve à la fois la dénonciation des inégalités entre sexes et des fiches de cuisine. « La domination masculine s'exerce à travers cette division du travail, mais elle coexiste avec d'autres exigences, notamment celle qui permet à chacun des conjoints d'avoir le sentiment d'être bien dans son genre ». Dans ce cas l'enjeu n'est pas celui de la domination mais celui de la construction identitaire.
Ce livre est original en France selon De Singly car l'essentiel des travaux en sciences sociales sur le travail domestique s'est cantonné à compter les heures. En revanche dans les pays anglo-saxon Linda Thompson (1991) a montré que l'acceptation relative de cette inégalité dérivait de 3 dimensions :
- les revenus tirés de la vie conjugale : c'est à dire la hiérarchie des valeurs pour la vie à deux. D'après les sondages la qualité « avoir un conjoint qui partage le travail ménager » arrive bien après la fidélité, la complicité, l'attention.
- la nature des comparaisons : la femme peut comparer son temps de travail domestique non pas à son conjoint mais à celui de sa mère ou d'une amie.
- les justifications : avec la seconde modernité et la plus grande place faite à la dimension personnelle de l'individu, il est possible de mettre en avant comme explication l'existence de goûts personnels.
Par ailleurs, demeure dans cette introduction, un paragraphe sur un thème très cher à De Singly : « l'individualisme ». Selon lui, « l'individualisation n'a pas pour objectif, […] de supprimer toutes les appartenances, mais d'autoriser d'une part la séparation avec les appartenances qui ne conviennent plus, et d'autre part la liberté d'accorder plus ou moins d'importance à telle ou telle appartenances ».
[...] On peut observer que 88% du travail des femmes est constitué de tâches féminines alors que seulement 48% du travail ménager des hommes est composé de tâches masculines. Ce qui montre que les femmes restent plus enfermées dans le féminin que les hommes dans le masculin. Pour les hommes faire plus de travail domestique témoigne d'une bonne volonté tandis que pour les femmes ce qu'elle réalise à la maison relève plus de leur identité. La multidimensionnalité de l'égalité est masquée par les enquêtes Emploi du Temps de l'INSEE et par leurs usages sociaux qui font croire que tout se joue dans le décompte du temps. [...]
[...] Pour les hommes, le coût est une moindre autonomie mais qu'ils peuvent compenser en produisant un monde privé-privé à l'extérieur : le soir au bureau ou lors d'activités de loisirs sportifs. Pour les femmes le coût en termes de ressources et de reconnaissance sociale est plus difficile à compenser. Le partage inégal du travail domestique a pour conséquence de rendre l'homme dépendant et ce d'autant plus que la femme revendique une pratique autonome des tâches ménagères. Dans ce schéma la femme est la maîtresse de maison et l'homme est l'élève, il ne donne que des coups de main. [...]
[...] Les femmes justifient l'inégalité en raison de la pression sociale qui s'exerce sur elle. Elise travaille toute la journée alors que son compagnon est inactif mais c'est elle qui culpabilise à l'idée que des gens extérieurs voient leur appartement en désordre, s'attendant à être mal jugée. Les femmes se justifient également par la peur de la solitude. D'après Ulrich Beck dans La Société du risque (2001) le couple et la famille tiennent moins par le fondement matériel et l'amour que par la peur de la solitude Quand les femmes sont mères elles justifient la répartition inégale des tâches domestiques par le souci du bien être de l'enfant. [...]
[...] Les femmes raisonnent par rapport à un système d'échange global au sein duquel elles placent la division du travail domestique. Ainsi, elles vont prendre en compte deux types de compensations. D'une part les compensations concernent l'identité personnelle de la femme. Pour une, ce qui compte c'est que ce compagnon l'aide à avoir confiance en elle, pour une autre l'important c'est la relation de proximité intellectuelle et de complicité. D'autre part, les compensations proviennent du bien commun du couple ou de la famille. [...]
[...] De plus, les femmes peuvent accepter la répartition inégale des tâches domestiques si elles estiment que chez les autres c'est pareil, voir pire. On peut voir l'intériorisation de ce partage inégal par les faibles réclamations des femmes. Celles-ci estiment qu'à trop demander, elles risquent d'être dénigrées, ce qui entraîne une perte en terme identitaire. De plus, de fortes revendications empêcheraient le maintien de bonnes relations au sein du foyer. Les femmes doivent donc concilier plusieurs exigences : la bonne entente au sein de leur couple, l'offre d'une nouvelle structure familiale à leurs enfants et l'envie de vivre d'une manière qu'elles jugent agréable. [...]
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