Le Mardi 30 octobre, la partie économie du quotidien Le Figaro publiait un article de François-Xavier Bourmaud présentant un rapport du Centre d'Analyse Stratégique (CAS) dressant un « portrait-robot du Français en Europe ». Ce rapport souligne quelques faits intéressants :
- Il montre, d'un côté, que le modèle social français serait l'un des plus redistributifs (donc justes) d'Europe. A titre d'exemple, il souligne que le taux de pauvreté avant les transferts sociaux, la pauvreté étant définie comme un revenu inférieur à 60% du revenu médian, est de 26% en France, comme dans l'UE à 25. Après redistribution, il n'est plus que de 13% en France, contre 16% dans l'UE à 25. Ce chiffre montre bien la plus grande ampleur des mécanismes de redistribution en France que dans la moyenne de l'UE à 25.
- D'un autre côté, malgré cette réussite apparente du modèle social français, l'article souligne que « les sentiments des Français à l'égard de la mondialisation, des mécanismes de l'économie moderne et de l'avenir de leur modèle social sont éloquents ». A titre d'exemple, 72% des personnes interrogées considèrent la mondialisation comme une menace pour l'emploi et les entreprises du pays, contre 47% au niveau de l'UE à 25. La France fait également partie des Etats pour lesquels moins de 15% des personnes interrogées considèrent que la vie de leurs enfants quand ils seront adultes sera plus difficile que celle de leur génération.
Si j'ai choisi d'introduire cette présentation de l'ouvrage Faut-il brûler le modèle social français ? par quelques mots sur ce rapport du CAS, c'est parce que celui-ci me semble souligner plusieurs points intéressants en lien avec le travail de D.Meda et d'A.Lefebvre.
D'abord, ce rapport procède d'une démarche que l'on pourrait qualifier de « comparative » entre les différents modèles sociaux européens et les perceptions qu'en ont les citoyens concernés. Cette démarche est exactement la même que celle de D.Meda et d'A.Lefebvre, qui vont utiliser les comparaisons internationales, notamment entre le modèle social français et le modèle social nordique.
Ensuite, ce rapport montre que les Français sont inquiets pour l'avenir de leurs enfants et considèrent certains processus récents comme la mondialisation (globalisation) comme une menace. Cette menace que fait peser la globalisation sur le modèle social français est justement l'un des postulats de départ de l'ouvrage qui nous intéresse ici. Au début du livre, les deux auteurs soulignent en effet que cette globalisation est un phénomène dont on ne peut nier l'existence et qui menace « les équilibres sur lesquels nous avons vécu jusqu'alors ». Face à un processus considéré comme irréversible (du moins à l'heure actuelle), les Etats, et notamment la France, doivent chercher à adapter leurs modèles sociaux, à prendre des mesures pour protéger socialement les citoyens…
Ces quelques postulats de départ étant précisés, D.Meda et A.Lefebvre vont partir d'un constat cruel mais réaliste, fait par des hommes politiques de Droite comme de Gauche : le modèle social français est en crise, dans un contexte de remise en cause des « équilibres traditionnels » par la « globalisation » qui est par beaucoup vue comme une menace. (cf. ci-dessus)
Les deux auteurs ne se résignant pas à cette situation d'échec patent et chronique du modèle français vont donc chercher à proposer une alternative crédible à ce modèle.
Ils vont donc reprendre une classification des modèles d'Etat providence effectuée par le Danois Gøsta Esping-Andersen dans les années 1990 qui distinguait trois modèles :
-le modèle « libéral » : dans cette catégorie d'Etat-providence, Esping-Andersen classe des pays au sein desquels « l'assistance fondée sur l'évaluation des besoins, les transferts universels modestes ou les plans d'assurances sociales modestes prédominent ». Les Etats-Unis en sont un exemple intéressant.
-le modèle « conservateur corporatiste », dont le modèle français est une variante. Dans ce modèle, « l'obsession libérale de rendement du marché et de la marchandisation n'est jamais prééminente ». « En tant que tel, l'octroi de droits sociaux [n'y] est jamais un fait sérieusement contesté. Le maintien des différences de statut prédomine. Les droits sont, par conséquent, liés à la classe et au statut ».
-le modèle « social-démocrate » : Esping-Andersen le définit comme « cherchant à instaurer un Etat-providence qui encourage une égalité des plus hauts standards et non une égalité des besoins minimaux » (plus caractéristique du modèle libéral). Il est composé « des pays dans lesquels les principes d'universalisme et de démarchandisation des droits sociaux ont également été étendus aux classes moyennes ». Esping-Andersen précise que la spécificité de ce modèle est « peut-être sa fusion entre bien-être et travail ». Les pays scandinaves, pour Esping-Andersen, sont clairement « à dominance sociale-démocrate ».
-Toutefois, il précise bien qu'il « n'y a pas de type pur », mais que chaque Etat-providence présente une dominante.
A partir de cette « classification », D.Meda et A.Lefebvre vont montrer que face à l'échec global du modèle corporatiste conservateur français, seules deux alternatives sont possibles : l'alternative libérale (anglo-saxonne et utilisée dans les pays de l'Est de l'Europe) et l'alternative sociale-démocrate des pays nordiques.
Or, la principale force de ce modèle est que celui-ci cumule deux éléments : d'un côté, il se caractérise par son caractère équitable et juste, et d'un autre côté, il parvient à être efficace économiquement dans le contexte de la globalisation, avec l'ouverture des frontières, la concurrence accrue etc.….. A l'inverse, le modèle libéral serait quant à lui efficace, mais pas équitable, ce qui explique le désintérêt de Meda et Lefebvre pour cette alternative à notre modèle en crise.
L'ouvrage cherche donc à démontrer de manière systématique que du fait de ses multiples succès dans des domaines où le modèle français échoue, le modèle nordique doit être considéré comme une source d'inspiration pour des réformes qui doivent être menées en France. Pour autant, les auteurs ne prônent une transposition totale de ce modèle, ni une révolution de notre modèle. Il s'agit simplement de faire revenir notre modèle social à ses fondements sociaux-démocrates, desquels il s'est progressivement éloigné au cours des dernières décennies.
? Meda et Lefebvre considèrent donc qu'il ne faut pas brûler le modèle social français, mais le faire revenir à ses fondamentaux pour le sauver.
La démarche globale de l'ouvrage s'inscrit par conséquent dans une logique de double utilisation de la comparaison.
D'une part, elle sert n effet à mettre en évidence les différences de performances entre le modèle conservateur corporatiste français et le modèle social-démocrate nordique et elle permet d'expliquer ces différences. (voir I)
D'autre part, elle permet de s'inspirer du modèle le plus efficace et le plus juste (qui est pour
les auteurs le modèle nordique) pour améliorer les performances du « mauvais élève » (le modèle français) (voir II).
[...] Or, la principale force de ce modèle est que celui-ci cumule deux éléments : d'un côté, il se caractérise par son caractère équitable et juste, et d'un autre côté, il parvient à être efficace économiquement dans le contexte de la globalisation, avec l'ouverture des frontières, la concurrence accrue etc . A l'inverse, le modèle libéral serait quant à lui efficace, mais pas équitable, ce qui explique le désintérêt de Meda et Lefebvre pour cette alternative à notre modèle en crise. [...]
[...] thèse d'Alfred Sauvy) de la main d'œuvre du secteur primaire vers le secondaire, puis du secondaire vers le tertiaire. A ceux qui arguent que les pays nordiques sont de petits états en terme de population, ce qui fait que les politiques économiques qui marchent là-bas ne pourraient pas être efficace chez nous, Meda et Lefebvre répondent qu'une décentralisation poussée pourrait régler cette incompatibilité. Cette idée de décentralisation me permet d'évoquer la question de l'organisation de la société organisation qui serait très différente en Scandinavie de l'organisation sociétale en France, ce qui constituerait un barrage à tout rapprochement des deux modèles. [...]
[...] On le voit encore avec la tentative de réforme des régimes spéciaux) etc . Comme le soulignent Pierre Muller et Yves Surel dans leur ouvrage l'Analyse des Politiques Publiques, le concept de path dependency» montre donc qu'il y aurait une sédimentation progressive des politiques publiques ( ) qui constituerait un obstacle à toute forme de changement d'envergure de l'action publique Pierson a d'ailleurs appliqué sa théorie à la réforme des Etats providences en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis en montrant que les réformes conservatrices néo-libérales entreprises dans les années 1980 ont été loin d'y produire les effets escomptés. [...]
[...] La seule politique possible, pour les pays développés, serait par conséquent de se spécialiser dans des productions à forte valeur ajoutée nécessitant un haut degré de qualification. C'est en effet dans ce domaine que les pays les plus développés sont plus compétitifs que les pays émergents. En France, cette logique n'a pas forcément été bien comprise : en témoignent par exemple les insuffisants efforts faits pour mieux former les chômeurs, les tentatives multiples de soutien au travail non qualifié (avec des réductions de cotisations sociales patronales sur les bas salaires), au lieu de valoriser davantage le travail qualifié et les hauts salaires en agissant par exemple au niveau de l'Education Nationale, de l'Enseignement Supérieur et de la recherche pour développer une véritable économie de la connaissance Dans les pays nordiques, cette logique a bien été comprise et se traduit de diverses manières. [...]
[...] (Là aussi, cette interprétation du travail de Palier n'engage que moi Citons par exemple le cas de la Contribution Sociale Généralisée (CSG). Celle-ci est un impôt créé en décembre 1990 par le gouvernement Rocard et qui a originellement pour but, toujours selon les termes de B.Palier, de remplacer la part des cotisations sociales finançant les prestations non contributives (c'est-à-dire, par exemple, les minima sociaux pour les personnes démunies ou âgées ou les parents isolés). Or, cette CSG semblait au départ devoir joué un rôle accessoire dans le financement de la protection sociale avec un taux uniforme de au départ s'appliquant sur la plupart des revenus des ménages (salaires, revenus du capital) et de manière proportionnelle. [...]
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