Walter Benn Michaels, professeur de littérature américaine à Chicago, interroge à travers La diversité contre l'égalité (traduction de The Trouble With Diversity : How We Learned to Love Identity and Ignore Inequality) la défense de la diversité dans les sphères politique, économique et sociale. Dans un contexte de ralliement généralisé à la défense de la diversité, cet ouvrage montre que la diversité, sensée être la garante de l'égalité, va à l'encontre de celle-ci.
La version française de l'ouvrage de W. B. Michaels s'ouvre sur le constat qu'en France, tout le monde se dit favorable à la diversité, et que ce concept n'est plus le monopole de la gauche. Ce consensus autour de la diversité s'inspirerait de la place centrale que celle-ci occupe depuis plus de trente ans dans la vie politique, sociale et économique des Etats-Unis. Selon l'auteur, de l'après-guerre à la fin des années 1970, la gauche française s'attachait avant tout à combattre les inégalités économiques. Mais à partir du tournant libéral de la gauche de gouvernement, c'est la lutte contre les discriminations qui est devenu l'enjeu central. Pour W. B. Michaels, cette conversion générale à l'apologie de la diversité conduit radicalement à la disparition de la gauche, qui n'existe plus car elle accepte les inégalités économiques. Ainsi, l'engagement en faveur de la diversité s'est substitué (au lieu de s'y ajouter) au combat pour l'égalité. C'est la conversion au néolibéralisme qui a engendré cette substitution, dans la mesure où le combat pour la diversité s'avère plus compatible avec le libéralisme économique que la volonté de réduire les inégalités économiques. Cette domination du néolibéralisme contamine la conception actuelle de la justice sociale, sur laquelle repose le combat pour la diversité, et selon laquelle « nos problèmes sociaux proviendraient de la discrimination et de l'intolérance plutôt que de l'exploitation. » (p.9).
Le cœur de l'ouvrage de W. B. Michaels est constitué par une approche de la diversité comme adversaire de l'égalité. La défense de la diversité serait même un outil de gestion de l'inégalité. On ne cherche plus à réduire les inégalités économique, mais on cherche à changer la constitution du groupe dominant (on ne remet pas en cause le statut d'élite, mais on veut les diversifier), à changer le comportement des gens envers ce qui est ‘différent' d'eux. Ainsi, ce n'est plus la pauvreté des pauvres, mais notre attitude à leur égard, le manque de respect qui devient le problème à résoudre. En effet, la lutte contre les inégalités économique implique une redistribution, et donc que certains doivent renoncer à leur richesse, alors que dans la défense de la diversité « tout le monde doit être gentil avec tout le monde.» (p. 14). En somme, alors que l'inégalité économique s'accroit , avec un écart de plus en plus grand entre riches et pauvres, la société s'attache avant tout à la reconnaissance de l'identité de chacun et à la tolérance de la diversité de ces identités.
[...] Michaels lie l'engouement américain pour la diversité avec la lutte contre le racisme, et l'assimilation des classes sociales à des races ou à des cultures. Il se réfère à S. Huntington et au concept de choc des civilisations pour affirmer la prégnance des différences identitaires sur les différences idéologique. La fin des idéologies laisserait ainsi la place à un attachement grandissant à la culture et à l'identité, au détriment de l'appartenance à une classe sociale qui irait de pair avec le combat contre les inégalités économiques. [...]
[...] Il souligne aussi utilement une certaine vacuité de cette diversité, dans la mesure où les inégalités économiques restent la source d'un clivage majeur. On peut aussi reconnaître la pertinence de la distinction entre le sentiment d'appartenance à une classe sociale, et la réalité de l'appartenance, qui conduit à considérer la diversité comme plus utile que l'égalité économique. Néanmoins, cet ouvrage semble manquer d'une certaine profondeur, notamment historique, les débats sur la mise en place de la discrimination positive aux États unis ne sont par exemple pas évoqués. [...]
[...] De même, le lien tissé par W. B. Michaels entre les revendications minoritaires et les célébrations de la diversité est discutable : les identités gays, noires, sont avant tout la réponse à des formes de domination, de violence sociale, et ne répondent pas seulement à une célébration abstraite de la diversité. Enfin, l'aspect volontairement provocateur de l'ouvrage amène l'auteur à affirmer des réalités plus que douteuses, et ce, sans les justifier. Il affirme en effet que la violence conjugale est avant tout liée à la pauvreté, alors qu'il semblerait au contraire qu'elle touche indistinctement toutes les classes sociales. [...]
[...] Il est de 0,450 aux États-Unis contre 0,383 en France. Malgré l'apparente prospérité économique, que mesure le PIB, la redistribution des richesses est donc très inégalitaire. Elle permet donc à tous les étudiants blancs de considérer qu'ils en doivent d'être là qu'à leur mérite, et qu'ils n'ont pas usurpé leur position au détriment d'étudiants noirs. [ ] La discrimination positive sur critères raciaux est une sorte de pot-de-vin collectif que les riches versent à eux-mêmes, afin de se permettre de continuer à ignorer l'égalité économique.» (p.86) La soi-disant gauche est devenue une sorte de département des ressources humaines de la droite, avec pour tâche de garantir des privilèges identiques aux femmes et aux hommes de l'upper middle class. [...]
[...] La gauche s'est détournée depuis les années 1980 du combat contre les inégalités économiques pour se préoccuper de la promotion de la diversité, elle s'attache à attribuer aux pauvres des identités : elle en fait des Noirs, des Latino-Américains, des femmes, les considère comme des victimes de la discrimination (p.72). Néanmoins, W. B. Michaels pointe une différence entre la droite et la gauche, qui est que la première considère que l'objectif de respect de la diversité a été atteint, alors que la seconde considère qu'il est encore à atteindre. À cet égard, le versement de réparations concernant l'esclavage par exemple permet de favoriser l'égalité des chances en réparant les conséquences du passé. Mais la droite et la gauche s'accordent fondamentalement sur le caractère normal des inégalités économiques. W. [...]
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