Le destin des immigrés, d'Emmanuel Todd

Résumé du document

Emmanuel Todd est un historien, démographe et anthropologue français. Il a été rendu célèbre notamment grâce à ses travaux sur le système soviétique dont il avait prédit l'effondrement des années avant qu'il n'eut lieu, et plus récemment sur l'Empire Américain, pour lequel il annonce le même sort.
Dans Le destin des immigrés, publié en 1994, l'auteur adopte un regard anthropologique afin d'analyser les processus d'assimilation –ou au contraire de ségrégation- qui ont lieu lors de la rencontre entre populations immigrées et autochtones dans les pays hôtes. Il convient ici de clarifier ce que l'on entend par « regard anthropologique » : c'est par le spectre des valeurs transmises par les structures familiales (structure centrale en anthropologie) qu'Emmanuel Todd s'intéresse au phénomène de l'immigration. L'approche de l'auteur est donc assez originale dans la littérature scientifique sur ce sujet, qui est plus souvent abordé sous l'angle des politiques ou des phénomènes sociaux qu'ils génèrent, plutôt que sur le plan micro- social comme le fait E.Todd.
Pour ne pas négliger toute l'épaisseur et le complexité du problème dont il traite, l'auteur adopte une démarche historique, en analysant au fil du temps la manière dont le problème de l'immigration s'est posé. En effet, l'immigration est un phénomène accru depuis un demi-siècle et facilité par bien des évolutions, mais il n'est pas nouveau. L'auteur double cette approche diachronique d'une approche comparative du point de vue géographique, en s'intéressant à quatre principales zones d'immigration qu'il considère comme des « sociétés témoins » à travers l'histoire : Les Etats- Unis, l'Angleterre, l'Allemagne et la France.
La principale problématique qui traverse cet ouvrage vise donc à comprendre comment les différences entre structures familiales, au niveau le plus micro qui puisse être examiné, permettent d'expliquer la variabilité des phénomènes macro- sociaux que l'on observe dans les différents pays cités lorsque se pose la question de l'intégration de populations immigrées.
Nous verrons dans un premier temps comment les structures familiales sont génératrices de « certitudes métaphysiques à priori », qui imprègnent les individus d'une certaine conception de l'humanité, cette vision pouvant être de type universaliste ou au contraire différentialiste, et pourquoi selon l'auteur cette distinction revêt une importance de premier ordre lorsque s'établit un contact avec un groupe inconnu, ce qui est le cas en situation d'immigration.
Puis, nous examinerons la portée explicative d'un tel raisonnement –qui est aussi une schématisation des processus réellement à l'œuvre- lorsque l'on chercher à comprendre les problèmes actuels que posent l'intégration des immigrés en France, en Europe ou aux Etats- Unis, mais aussi pour répondre aux problématiques soulevées par l'intégration européenne dans ce domaine.

Extraits

[...] A l'intérieur de ces deux grandes catégories, on trouve différents modèles. Les familles symétrisées peuvent ainsi être à symétrie masculine restreinte (où seuls les individus masculins bénéficient d'un héritage égalitaire) ou à symétrie généralisée (dans ce cas, les frères et les sœurs sont considérés comme égaux). De même, au sein du modèle inégalitaire, des nuances importantes apparaissent, qui sont essentiellement des différences de degré de l'inégalité entre les frères : dans certains cas, un enfant reçoit la totalité de l'héritage, dans d'autres il n'en reçoit qu'un part deux fois supérieures à celle de ces frères. [...]

[...] Or ce taux est en hausse en France. Emmanuel Todd aboutit donc à ce paradoxe : en dépit de la virulence de l'extrême droite différentialiste en France depuis une quinzaine d'année (il écrit en 1994), la marche vers l'assimilation des immigrés n'a pas cessé. L'auteur différencie pour autant clairement la différence essentielle du point de vue des structures familiales entre les précédents immigrés (venus d'Italie, du Portugal) et les immigrés venus du Maghreb, pour qui l'assimilation, qui implique la destruction de leurs systèmes de mœurs, engendrant évidemment beaucoup de souffrances et de désarroi. [...]

[...] La France n'est pas le seul pays universaliste, il y en a bien d'autres comme la Russie, l'Italie, l'Espagne ou encore la Chine. Mais c'est en France, et plus particulièrement avec la Révolution Française, que naît le concept d'homme universel. Emmanuel Todd décrit comment ce concept d'épanouit à la fin du XVIIIème siècle, dans un contexte anthropologique d'extension des valeurs libérales et égalitaires portées par les familles de la France centrale du Bassin parisien. Sur le plan intérieur, la traduction de cette affirmation est l'abolition des ordres d'Ancien Régime, ordres qui institutionnalisaient une différence entre les individus qu'il s'agit justement de ne plus considérer à l'heure de l'homme universel. [...]

[...] Une autre ligne de démarcation qui permet de classer les différentes structures familiales selon Emmanuel Todd, distingue les structures de type libéral des structures de type égalitaire. C'est par l'observation des lieux d'habitation des fils mariés et non mariés que l'on peut trancher cette question. C'est ainsi que l'auteur dresse une typologie à double entrée des principales structures familiales que l'on peut observer. Il semble pertinent de la synthétiser dans un tableau où l'on peut situer les différents modèles nationaux historiquement mis en valeur par l'auteur. [...]

[...] Deux éléments, pour conclure sur ces certitudes métaphysiques à priori, doivent être évoquées. D'une part, ces certitudes sont absolument indépendantes de tout constat empirique. Elles se forment en-dehors d toute expériences avec d'autres peuples ou ethnies, et l'individu adulte ne cherche pas à proprement parler des éléments pour vérifier ou non l'hypothèse d'une essence humaine universaliste ou différentialiste : au contraire, on cherche la confirmation de ce que l'on croit déjà, en projetant sur la réalité les représentations que l'on a intériorisé de manière inconsciente à l'intérieur de la cellule familiale. [...]