« Qu'y a-t-il de commun entre un grand patron parisien issu de la vieille bourgeoisie et sorti d'une Grande Ecole, un ancien ouvrier devenu chef d'atelier et un ingénieur de recherche de l'aérospatiale passé par le C.N.R.S. ? Chacun peut prétendre au titre de cadre. Pourtant presque tout les distingue. » C'est sur ce constat paradoxal que s'ouvrent Les cadres de Luc Boltanski. Cet ouvrage de sociologie des organisations professionnelles interroge la formation d'un groupe social récent, à savoir les cadres en France. Si les cadres ont une existence sociale avérée, leur définition sociologique demeure problématique en raison de l'hétérogénéité du groupe. Sociologiquement, une définition essentialiste et substantialiste de la nature des cadres se révèle très épineuse, mais pour autant socialement, le groupe des cadres recouvre une réalité identitaire dans laquelle des agents se reconnaissent. Pour dépasser cette double difficulté, Boltanski se refuse à un travail de définition théorique et a priori ; a contrario, il développe la thèse - sous-entendue dans le sous-titre de l'œuvre - comme quoi la formation du groupe social des cadres résulte d'un processus socio-historique d'objectivisation sociale progressive. Au-delà du substantif « cadre », Boltanski recherche la substance même du groupe qui est inséparable de ce travail socio-historique, des années 1930 à nos jours, de représentation du groupe dans l'espace social. Boltanski s'attache ainsi à déconstruire « l'artefact statistique » qui établit les cadres comme une chose donnée pour mieux reconstruire l'histoire de la catégorie, devenant alors produit objectivé d'une identité collective.
[...] Cet ouvrage de sociologie des organisations professionnelles interroge la formation d'un groupe social récent, à savoir les cadres en France. Si les cadres ont une existence sociale avérée, leur définition sociologique demeure problématique en raison de l'hétérogénéité du groupe. Sociologiquement, une définition essentialiste et substantialiste de la nature des cadres se révèle très épineuse, mais pour autant socialement, le groupe des cadres recouvre une réalité identitaire dans laquelle des agents se reconnaissent. Pour dépasser cette double difficulté, Boltanski se refuse à un travail de définition théorique et a priori ; a contrario, il développe la thèse - sous-entendue dans le sous-titre de l'œuvre - comme quoi la formation du groupe social des cadres résulte d'un processus socio- historique d'objectivisation sociale progressive. [...]
[...] C'est dans l'Amérique du New Deal, du plan Marshall et de Ford que les cadres français puisent leur symbolique. Ils en importent en particulier un modèle d'organisation et de gestion rationnelles basé sur le dialogue tripartite entre patrons, cadres et ouvriers : le management moderne. Contre le mythe du chef et les rapports hiérarchiques austères, le management et le mouvement des relations humaines prônent un commandement démocratique. La multinationalisation des entreprises, i.e. l'américanisation, diffuse ce modèle de rationalisation des carrières où la compétence prime sur l'héritage et où le diplôme, i.e. le capital culturel, détermine les rémunérations. [...]
[...] C'est dans cette diversité et cette porosité que le groupe des cadres trouve in fine sa permanence. L. Boltanski dépasse ainsi les débats sur la position de classe des cadres et privilégie une approche singulière. C'est à ce titre que les cadres peuvent être considérés comme l'ouvrage qui éloigne Boltanski de l'école bourdeusienne et fonde la sociologie pragmatique. [...]
[...] Toute classe sociale est au confluent d'une mystique et d'une structure économique La classe moyenne fustige autant l'individualisme, le capitalisme anonyme patronal et le pouvoir de l'argent que le collectivisme et le pouvoir des masses. Elle loue au contraire un capitalisme d'épargne forgé sur un patrimoine personnel. Ce fondement économique lui permet de revendiquer 20 millions de petits bourgeois épargnants. Mais ces classes moyennes forment un ensemble hétérogène et entretiennent un rapport ambigu avec les cadres. En effet, elle recoupe les petits indépendants et les cadres salariés du privé tout en excluant les fonctionnaires étatistes et socialistes. [...]
[...] L'analyse sociohistorique de la formation des cadres sera la condition préalable à une tentative définitionnelle du groupe (II). L'invention des cadres comme produit social s'est fait à travers un double mouvement paradoxal : issue d'une idéologie réactionnaire d'avant- guerre, le cadre est devenu après-guerre un symbole de modernité. La crise des années 1930 accompagne le développement des classes moyennes auxquelles le cadre tâche de prendre part. C'est le catholicisme social qui, lors des grèves de 1936, donne naissance aux classes moyennes. [...]
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