Depuis une dizaine d'années, nous assistons à l'émergence d'un large débat public autour de l'épineuse question de l'histoire coloniale française. La résurgence de questions portant sur les héritages de la colonisation est en effet relayée par de très nombreux documentaires, films (Indigènes, etc.), édifications de «lieux de mémoire » et autres pétitions, ce qui traduit indéniablement une obsession certaine de la société française contemporaine face aux aspects les plus sombres de cette période. La sphère politique y apporte elle-aussi son écho : la loi du 23 février 2005 sur les supposés aspects « positifs » de la colonisation a suscité un débat houleux, non seulement chez les parlementaires, mais aussi et surtout dans de très nombreux foyers français. La France n'aurait-elle pas la conscience tranquille ? Que traduit ce soudain besoin de « devoir de mémoire », de retour au passé ? Comme nous le rappellent N. Bancel, P. Blanchard et F. Vergès dans la préface de leur excellent ouvrage La République Coloniale (cf. bibliographie), « L'impensé de la République, de la res publica, c'est la notion de race. Elle est rejetée au nom de l'universalisme français, de son refus d'appréhender les citoyens dans leur diversité culturelle et religieuse. […] Elle prend pourtant toute sa dimension dans l'esclavage puis dans l'empire colonial, et continue à modeler les représentations dans la société, représentations qui ont des conséquences concrètes pour les citoyens. » Il apparaît donc indéniable que l'idée d'un colonialisme « pas si positif » car fondamentalement raciste, heurte nos consciences et remet en cause nos chers préceptes républicains. L'objet de ce travail est d'expliquer dans quelle mesure l'idée d'un colonialisme supposément raciste rend extrêmement difficile l'élaboration d'une mémoire coloniale.
[...] Grande figure de la Révolution française, l'abbé Sieyès avance que tous les privilèges sont, par la nature des choses, injustes, odieux et contradictoires à la fin suprême de toute société politique (Constitution de l'an III, art du 22août 1795). Construite en opposition fondamentale avec le régime de monarchie absolue inégalitaire et arbitraire la précédant, la république originelle condamne le racisme et proclame des principes qui ne seront pas appliqués dans les colonies. Comment la république justifie-t-elle cette exception coloniale ? Comment peut-on être à la fois républicain et colonial ? De nombreux Français accordent une grande importance à la mission civilisatrice de la colonisation française. [...]
[...] ( . ) ( . ) En regardant comme un piège, comme une aventure toute expansion vers l'Afrique ou l'Orient, vivre de cette sorte pour une grande nation, croyez- le bien, c'est abdiquer et, ( . ) c'est descendre du premier rang au troisième et au quatrième". [...]
[...] Ainsi, Vincent Auriol, en 1947 dans son Journal du septennat (cf. bibliographie), rétorque aux indépendantistes algériens : Vous n'avez jamais été un Etat et nous vous avons délivré de la servitude. Vous êtes nourris de notre propre lait, et de notre propre culture, ainsi que tous ceux qui voudraient aujourd'hui rompre l'unité française. Mais sans la France, que ferez-vous, que voulez-vous ? Plus récemment, Jean- Pierre Chevènement écrit dans le Nouvel Observateur un article titré Cessons d'avoir honte, dans lequel il rappelle les points positifs de l'action française, notamment concernant l'enseignement, ayant apporté selon lui aux peuples colonisés les armes intellectuelles de leur libération Dans la même mouvance, on peut noter la proposition de loi émise par des députés UMP en 2003 visant à rendre hommage à l'œuvre française en Algérie (bien que cette loi puisse plutôt avoir une portée électoraliste et interpeler le vote pied-noir). [...]
[...] Comme nous avons pu le voir, l'idée d'un colonialisme raciste était très largement soutenue en métropole (Cf. l'Exposition de 1931) et la décision originelle de rendre raciste le colonialisme n'est pas le fait d'une personnalité politique en particulier, mais le fruit d'une longue évolution historique. Aujourd'hui, comme face à Vichy, on constate les difficultés qu'a la société française à assumer ce passé qui ne passe pas Il est d'ailleurs remarquable que le dénominateur commun entre Vichy et la colonisation soit le racisme Proclamer avec indignation Plus jamais ça ! [...]
[...] Chez les républicains, deux discours s'affrontent. D'une part, derrière Ferry, un certain nombre de cadres supportent l'idée de l'inégalité entre les races. Mais au contraire de la droite traditionnelle, ils croient en la perfectibilité des races inférieures et donc, de facto, au rôle civilisateur de la France vis-à-vis de son Empire. D'autre part, certains républicains (par exemple Bert, Buisson, etc.) avancent des thèses faisant certes à long terme des indigènes les égaux des colons blancs. Il convient néanmoins de souligner qu'à la fin du XIXème siècle, la plupart des hommes politiques rejoignent les thèses d'un colonialisme raciste et excluent dans leurs discours les peuples colonisés de la communauté nationale. [...]
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