Lors des débats précédant le vote de la Constitution de 1793, le représentant Harmand pose la question suivante : « Les institutions sociales peuvent-elles procurer à l'homme cette égalité de fait que la nature lui a refusée, sans atteinte aux propriétés territoriales et industrielles ? ». Cette question pose en fait, et avec un siècle d'avance, celle des rapports entre protection sociale et propriété privée. Bernard Manin définit la protection sociale comme une garantie contre des évènements indésirables dont l'occurrence est aléatoire dans la vie des individus ; la protection sociale doit donc être distinguée de la Sécurité sociale en ce sens qu'elle n'est pas nécessairement obligatoire et centralisée. D'ailleurs, la naissance de la protection sociale est difficile à dater : lorsque Henri IV rend un édit ordonnant la ponction d'une partie du revenu des mines pour le soin des travailleurs blessés, on se situe déjà dans le champ de la protection sociale telle que définie précédemment. La propriété privée, quant à elle, ne se limite pas à la seule détention de biens matériels : elle désigne également la possibilité de jouir librement des fruits de son travail.
Pour Robert Castel, la question du représentant Harmand comporte une aporie, une contradiction a priori insurmontable que seul l'Etat Providence permettra de résoudre. Ce point de vue peut conduire à supposer que protection sociale et propriété privée s'opposent. Or, la réalité des liens entre ces deux concepts est plus complexe. Il ne saurait y avoir d'opposition totale dans la mesure où la protection sociale est le résultat d'un fonctionnement économique assis sur la propriété privée. L'avènement de l'Etat Providence va apporter des tempéraments au lien originel entre protection sociale et propriété privée, sans toutefois l'abolir.
[...] L'Etat Providence se veut le promoteur d'un idéal de justice sociale qui préserve la propriété privée et permet de faire l'économie d'un changement structurel du système économique. Propriété sociale et propriété privée se combinent plus qu'elles ne s'opposent. En conséquence, le lien initial entre protection sociale et propriété privée n'est pas aboli. D'une part, pour certaines catégories de la population, la protection sociale dépend toujours des revenus issus de l'exploitation de la propriété privée ; tel était le cas des indépendants au moment de la création du régime général de la Sécurité sociale. [...]
[...] L'opposition entre propriétaires et non propriétaires est redéfinie : la non propriété n'entraîne plus l'insécurité. La propriété sociale, issue du transfert de propriété privée opéré par le mécanisme assurantiel, permet l'existence d'un patrimoine personnellement attribuable qui n'est pas privé mais qui est susceptible d'une jouissance privée. Concrètement, les transferts de revenus entre catégories ne se font plus selon une ligne de partage unique entre propriétaires et non propriétaires : le paiement des cotisations est une obligation inévitable, mais il ouvre un droit inaliénable. [...]
[...] D'ailleurs, la naissance de la protection sociale est difficile à dater : lorsque Henri IV rend un édit ordonnant la ponction d'une partie du revenu des mines pour le soin des travailleurs blessés, on se situe déjà dans le champ de la protection sociale telle que définie précédemment. La propriété privée, quant à elle, ne se limite pas à la seule détention de biens matériels : elle désigne également la possibilité de jouir librement des fruits de son travail. Pour Robert Castel, la question du représentant Harmand comporte une aporie, une contradiction a priori insurmontable que seul l'Etat Providence permettra de résoudre. Ce point de vue peut conduire à supposer que protection sociale et propriété privée s'opposent. [...]
[...] ii la protection sociale obligatoire et centralisee, caractéristique de l'etat providence, a partiellement transformé les rapports entre protection sociale et propriété privée. A. L'Etat Providence se veut le garant d'une forme de propriété distincte de la propriété privée : la propriété sociale L'Etat Providence naît de la dissociation entre propriété et sécurité induite par l'avènement de la société salariale (Robert Castel). L'industrialisation croissante de l'économie rend le salariat irréversible ; dès lors, la protection sociale ne peut plus seulement être une compensation de l'absence temporaire de propriété privée, justement parce que l'accès à la propriété privée pour tous est devenu impossible. [...]
[...] une ligne de partage entre les positions inférieures dans la structure sociale, qui doivent être collectivement assurées, et les positions supérieures, pour lesquelles la sécurité dépend de leurs propres ressources, à savoir de leurs biens propres, de leurs propriétés privées Ainsi, selon Saint-Just, il faut donner quelques terres à tout le monde pour assurer la sécurité de chacun. La protection sociale est instaurée pour combler le manque d'autonomie de ceux qui ne sont pas propriétaires. ( Protection sociale et propriété privée seraient en quelque sorte dans un rapport de dépendance négative : la protection sociale existe parce que tous n'ont pas accès à la propriété privée. Or, l'avènement de l'Etat Providence et la conception obligatoire et centralisée de la protection sociale qui le sous-tend vont partiellement distendre le lien ainsi esquissé entre protection sociale et propriété privée. [...]
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