En France, les représentations en matière d'alcool sont assez paradoxales. En effet, d'un côté c'est un produit valorisé, un élément constitutif de la culture française, notamment avec le vin, et d'un autre côté, il est depuis de nombreuses années considéré comme un produit dangereux, du fait des problèmes sociaux et médicaux qu'il peut engendrer. Depuis quelques années, on assiste également à la constitution d'un nouveau référentiel, de nouveaux principes de vie valorisés et en quelques sorte imposés par la puissance publique et politique : il faut avoir une vie saine, ce qui passe par ne pas fumer, ne pas boire, bien manger…
Dans ce contexte, les jeunes sont une population cible pour l'application de ces principes. De nombreux messages leurs sont adressés et des législations sont mises en place dans un souci de normalisation de leurs pratiques, souvent considérées comme à risque, du fait de la définition de cette période particulière considérée comme celle des premières expériences et des transgressions des normes en vigueur dans la société. Ainsi, l'alcool est considéré comme un produit dangereux pour ces jeunes, vulnérables et enclins à le consommer si aucune interdiction n'est clairement formulée et surtout appliquée.
C'est au vu de contexte que le 21 octobre 2008, Roselyne Bachelot, ministre de la Santé, de la Jeunesse, des Sports et de la Vie associative a présenté au Conseil des ministres son projet de loi « Santé, patients, territoire », projet qui contient en son sein une proposition d'interdiction totale de vente d'alcool aux mineurs, ainsi qu'une proposition de suppression des « open-bar ». Face à des jeunes considérés comme vulnérables et ayant de multiples pratiques à risque, les attentes de la société civile se sont ainsi tournées vers la puissance publique et politique à laquelle il a été demandé d'agir, et ainsi de légiférer, afin de préserver leur santé.
[...] En effet, le déclenchement de l'action publique n'est pas lié à un seuil d'intensité du problème mais à une transformation de la perception des problèmes. Un problème politique est un construit social dont la configuration dépend de multiples facteurs propres à la société et au système politique concerné. Ces mesures étaient attendues et réclamées par l'ANPAA depuis un certain temps, mais il aura fallu une mise en lumière de ce problème dans l'espace public et une médiatisation importante pour qu'une décision soit enfin prise. [...]
[...] Enfin les "open-bars", qui seront interdits, sont un "classique des soirées étudiantes qui favoriserait le binge-drinking", selon la ministre. L'enquête Escapad a révélé qu'"au cours des 30 derniers jours, près de la moitié des jeunes de 17 ans disent avoir bu au moins cinq verres d'alcool en une seule occasion - c'est la définition du binge drinking", s'insurge la ministre.[4] Comme on peut le voir, les déclarations de Mme Bachelot s'appuient uniquement sur les résultats d'une enquête ESCAPAD, Enquête sur la Santé et les Consommations lors de l'Appel de Préparation à la Défense. [...]
[...] Nous reviendrons donc dans un premier temps sur l'émergence et la construction de ce problème social l'alcoolisation massive des jeunes et sur les entrepreneurs de morale qui ont conduit à sa mise en lumière et ont contribué à l'inscrire dans l'espace public. Dans un deuxième temps, nous nous intéresserons aux raisons qui ont facilité cette inscription dans l'espace public, et aux différents acteurs qui ont contribué à une forte publicisation de ce problème. Dans un troisième temps, nous reviendrons sur les solutions envisagées et sur celles qui ont finalement été adoptées par l'Assemblée Nationale. [...]
[...] Ainsi, les questions relatives à la jeunesse ne sont envisagées que dans un cadre répressif, les problèmes qu'on leur attribue sont toujours considérés comme résultant de leurs caractéristiques, de leur déviance, jamais on ne cherche à les envisager sous un angle plus social, à les remettre dans un contexte social pourtant éclairant. La politique de l'assistanat leur est appliquée, comme elle est appliquée à chaque groupe considéré comme déviant dans notre société. Comme le souligne la sociologue Cécile Van de Velde, comme l'Etat est incapable de protéger [les jeunes] socialement, il les protège malgré eux au nom d'impératifs sanitaires. [...]
[...] Les parents veulent que leurs enfants soient protégés, et plus encore dans les moments où ils n'ont plus de possibilité de regard sur leurs actions, c'est-à-dire au moment de leurs sorties, de leurs moments de sociabilité entre pairs. Avec une mise en lumière du phénomène de binge-drinking, appuyé par des chiffres, des données quantifiables, des images, témoignages, la peur des parents et autres adultes est facilement déclenchée, voire amplifiée. Leurs attentes se tournent donc vers la puissance publique, qui se doit d'agir et de protéger leurs enfants, via la mise en place d'une législation qui viendrait encadrer l'irresponsabilité de leurs enfants. [...]
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