Depuis le début des années 1980, les programmes d'affirmative action cristallisent de nombreuses divisions, sur la scène politique, au niveau constitutionnel, et sur le plan philosophique. Ce traitement préférentiel dont bénéficient les membres des groupes ethniques sous-représentés est au centre de vives polémiques. Derrière ce débat se profile une autre polémique sur la «nature de la nation américaine». La principale difficulté à laquelle se trouve confrontée le chercheur lorsqu'il rencontre de tels concepts (identité, ethnie, nation) tient à leur utilisation à la fois comme catégories du sens pratique et catégories analytiques. Pour s'affranchir du sens commun, il faut parvenir à objectiver ces concepts. Nous éviterons donc de proposer des définitions réifiées qui ne rendent pas compte de la trajectoire historique de la construction même de ces catégories. En effet une identité collective résulte d'un rapport de force entre les représentations imposées par ceux qui ont le pouvoir de classer et nommer et la définition que chaque communauté produit d'elle-même, principalement par l'intermédiaire de ses représentants. Les groupes sociaux qui s'affrontent dans la réalité se servent des définitions qu'ils donnent d'eux-mêmes pour la reconnaissance de leur groupe. Nous devons néanmoins tenter de clarifier la notion d'affirmative action.
La définition de l'affirmative action varie selon les auteurs. Au sens le plus strict, seule la préférence accordée aux minorités et aux femmes sur le marché du travail est considérée comme une politique d'affirmative action. Nous retiendrons, relativement à notre sujet, une acception plus vaste du concept. Utilisée par Philip G.Altbach, elle ne se limite pas à l'admission préférentielle. Selon lui, les politiques universitaires d'affirmative action regroupent «les efforts particuliers pour recruter, admettre, inscrire, retenir et diplômer des groupes sous-représentés dans l'éducation supérieure à la fois undergraduate et au niveau graduate» . En Californie, cette politique a été au centre d'un référendum dont l'objet était l'adoption de la Proposition 209 qui prévoyait de mettre fin au traitement préférentiel accordé aux minorités par l'Etat de Californie et le secteur public . Après une analyse des enjeux théoriques de l'affirmative action, nous tenterons d'examiner les conséquences de la Proposition 209 sur l'accès des Hispaniques au système universitaire public, dans l'Etat de Californie.
[...] Conçus, comme nous l'avons vu dans les années 1960, les programmes d'affirmative action furent appliqués dans les universités américaines jusqu'en 1995, date à laquelle le Board of Regents de l'université de Californie prit l'initiative d'y mettre fin en adoptant deux résolutions SP1 et SP2. La première interdit la prise en compte de l'appartenance ethnique comme facteur d'admission des étudiants ; la seconde supprime sur ce même critère dans le recrutement du personnel. Associée à la Proposition 209, adoptée en 1996, ces mesures interdisent toute référence à la «race, au sexe et à l'ethnicité» comme critère possible d'admission. [...]
[...] La loi du marché doit s'appliquer partout, dans les universités comme sur le marché du travail. Richard Epstein, professeur de droit, affirme que l'université est un marché où doit s'exercer la libre concurrence des talents. Dans le camp libéral, c'est le principe d'égalité qui est au cœur du débat. Certains chercheurs se sont néanmoins montrés septiques quant aux résultats de la politique d'affirmative action. Bien qu'ils reconnaissent son utilité pour améliorer la représentation de groupes discriminés, ils remarquent qu'elle n'a pas contribué à la promotion des plus pauvres. [...]
[...] La mise en pratique des programmes d'affirmative action visant à mettre fin à la ségrégation scolaire est entrée en conflit avec les représentations dominantes de l'exigence méritocratique. Le philosophe John Rawls dont l'œuvre a parfois été interprétée comme une tentative de définir les fondements philosophiques de l'Etat-providence et de justifier les politiques redistributives visant la réduction des inégalités sociales a opéré une déconstruction de cette notion de mérite. Le système méritocratique est injuste dans la mesure où il est appelé à refléter la distribution initiale des talents, qui est dépourvue de valeur morale[12]. [...]
[...] Douglass, «Anatomy of conflict : the making and unmaking of affirmative action at the University of California in p138 D.Lacorne, ibid, p311. UC Berkeley, UC Davis, UC Irvine, UCLA, UC San Diego, UC Santa Barbara, UC Santa Cruz, UC Riverside. Huit universités : UC Berkeley, UC Davis, UC Irvine, UCLA, UC San Diego, UC Santa Barbara, UC Santa Cruz, UC Riverside. W J. Wilson, When work disappears: The world of the urban poor, New York, Knopf R.Kahlenberg, The Remedy: class, race and affirmative action, New York, Basic Books, 1996. [...]
[...] C'est à partir de cette période que l'affirmative action en est venue à désigner un ensemble de mesures qui octroient un traitement préférentiel dans l'allocation de certaines ressources aux membres de groupes porteurs d'une identité sociale assignée et ayant subi, dans le passé, une discrimination. C'est en particulier le cas des Noirs, victimes d'abord de l'esclavage, puis de la ségrégation. Cette assignation peut, aux premiers abords, dérouter une personne familière de la conception française de la citoyenneté. En effet, «aux Etats-Unis , le démographe, le sociologue et le juge ne cessent d'apprécier ce que la loi française nous interdit de décrire : l'appartenance ethnique des individus»[3]. [...]
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