Pourtant, contrairement à ce qui était suggéré dans le Rapport Minc, l'équité ne saurait être opposée de façon caricaturale à l'égalité (en témoigne l'adage « à travail égal, salaire égal »), mais doit plutôt être envisagée comme « une propriété du ou des critères d'égalité que l'on choisit » . Cela peut être tout aussi bien l'égalité devant l'emploi que l'égalité des salaires : les dimensions de l'égalité sont multiples, et l'équité ne renvoie qu'au jugement moral que l'on porte sur la réalisation de l'une d'entre elles. Cependant, la rhétorique de l'équité ne doit pas être un moyen détourné de légitimer et pérenniser des inégalités salariales qui, favorisant l'efficacité économique à court terme, risquent néanmoins de produire l'effet inverse à plus long terme en minant les fondements de la cohésion sociale. La perception des inégalités et l'importance relative accordée aux différents critères d'égalité varient selon les traditions nationales. Il serait erroné de croire que le modèle américain (forte flexibilité des salaires) est la panacée.
Dans quelle mesure la réduction volontariste des inégalités salariales est-elle susceptible de nuire à l'efficacité économique ? Est-on parvenu en France à concilier équité et efficacité dans les politiques visant à favoriser l'embauche des non qualifiés ? L'équité n'est-elle pas dangereusement subordonnée à l'efficacité lorsque la précarisation croissante de l'emploi multiplie les inégalités de revenus salariaux ?...
[...] Il s'agit plutôt de savoir si elles sont efficaces sur le plan économique tout en permettant d'améliorer la situation des moins favorisés (principe de différence / Maximin). Cela implique une remise en cause du compromis social des Trente Glorieuses et des mécanismes de subventions implicites par le biais du SMIC entre catégories de salariés. Il est vrai que les priorités ont changé. Dans les 70's, la forte croissance de l'économie, le plein-emploi, le financement aisé de la protection sociale et une mobilité sociale plus forte qu'aujourd'hui étaient autant de facteurs qui favorisaient la mise en œuvre d'une politique uniforme de réduction des inégalités salariales. [...]
[...] Car le diagnostic est clair : bonnes ou mauvaises, les situations salariales persistent aujourd'hui plus qu'hier. Indûment opposée au principe d'égalité et mise au service d'une politique de l'emploi sacrifiant la cohésion sociale sur l'autel de l'efficacité économique, la rhétorique de l'équité légitime les inégalités salariales conditionnant l'embauche des non qualifiés, tout en aggravant les disparités de revenus salariaux liées à la précarisation de l'emploi 2.1 ) Dans une perspective post-rawlsienne fondée sur l'équité, les inégalités salariales peuvent être à la fois justes et efficaces lorsqu'elles favorisent l'emploi des non qualifiés sans réduire leur pouvoir d'achat 2.1 .1) La politique d'allégement des charges sociales sur les bas salaires a permis de réduire le chômage des moins qualifiés Censée concilier équité et efficacité, la diminution du coût du travail non qualifié par le biais d'un allègement ciblé et dégressif des cotisations patronales entérine et consolide l'existence d'inégalités salariales défavorables aux travailleurs non qualifiés. [...]
[...] Y a-t-il ou non ouverture d'une trappe à bas salaires ? Les mécanismes de ristourne dégressive des cotisations patronales tendent en effet à freiner la progression des salaires car une faible augmentation de salaire net nécessite une hausse de salaire brut très importante. En outre, si la baisse des cotisations sociales sur les bas salaires permet de redistribuer assez efficacement du pouvoir d'achat aux salariés au SMIC à temps plein, elle est beaucoup moins performante lorsqu'il s'agit de soutenir le revenu des salariés à temps partiel, qui font pourtant partie des plus menacés par la pauvreté. [...]
[...] D'où provient dans ce cas le sentiment d'un accroissement des inégalités salariales ? 1.2 ) L'importante réduction des possibilités de mobilité salariale accentue les effets désincitatifs de la faible dispersion des salaires à temps plein tout en nourrissant le sentiment d'un accroissement des inégalités 1.2 .1) La réduction des possibilités de trajectoire salariale ascendante pèse sur la motivation des salariés En particulier, les revalorisations successives du SMIC associées aux allégements de charges sociales sur les bas salaires (voir infra) ont entraîné la “smicardisation” d'une proportion importante des salariés français : aujourd'hui contre en 1990. [...]
[...] A cet égard, les inégalités salariales renvoient de façon plus générale aux inégalités face à l'emploi. La lutte contre l'exclusion s'est progressivement substituée à l'objectif de réduction des inégalités, avec pour conséquence une contribution certaine à la forte croissance du nombre de “travailleurs pauvres” (working poors), qui sont bien sûr pour la plupart des “salariés pauvres”. Loin d'être l'apanage des Etats-Unis, la “pauvreté laborieuse”s'est installée en France, intimement liée aux différentes formes de précarité et de dérégulation du marché du travail. [...]
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