Des centaines de millions de personnes sont mortes au XXe siècle des conséquences des famines. Près de 852 millions de personnes souffrent encore aujourd'hui de sous-alimentation, principalement dans les pays pauvres d'Asie du Sud ou d'Afrique subsaharienne, où une personne sur cinq ne mange pas à sa faim. Ce chiffre non seulement ne diminue pas mais il a tendance à augmenter de nos jours. Si le manque d'informations rend ces estimations parfois erronées, l'agence des Nations Unies pour l'agriculture et l'alimentation, dans son rapport intitulé « Perspectives de récoltes et situation alimentaire » recense 40 pays « confrontés à des urgences alimentaires » et « ayant besoin d'une aide internationale. »
On peut s'interroger sur les origines d'un tel phénomène : alors que certains pays connaissent une surproduction agricole chronique, comment se fait-il que des populations meurent de faim ? C'est bien entendu là une question économique, liée à la pauvreté et au pouvoir d'achat insuffisant de ces peuples, ainsi qu'une question géographique de répartition des ressources et des productions ? Mais n'y a-t-il pas un facteur politique qui interviendrait de manière déterminante sur les origines et les conséquences de la famine ? En effet celle-ci apparaît souvent dans un contexte de tensions politiques, voire de conflits armés et l'action des Etats est primordiale dans la lutte pour son éradication.
Cet essai a ainsi pour but d'analyser en quoi les choix politiques s'avèrent décisifs pour le développement de famines à travers le monde, aux stades antérieurs de la prévention comme aux stades postérieurs de la gestion de l'aide puis de la réhabilitation des populations. Par conséquent, après avoir mieux cerné ce qu'est la famine, nous examinerons son essence à travers ses particularités et définitions, avant d'étudier en quoi sa prévention relève de la sphère politique.
[...] La Déclaration Universelle des Droits de l'Homme du 10 décembre 1948 précise ainsi dans son article 3 que "tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne" et dans son article 25 que "toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l'alimentation." Ce droit, repris dans les Conventions de Genève, en particulier dans le premier protocole additionnel de 1977 dont l'article 54, alinéa dispose qu'"il est interdit d'utiliser contre les civils la famine comme arme de guerre[2]," est donc censé être protégé même en temps de guerre. Ce droit a encore été réaffirmé récemment par 182 Etats lors du Sommet mondial de l'alimentation de Rome en 1996[3], où l'objectif de réduire de moitié la sous-nutrition d'ici à 2015[4] a été fixé. Pourtant la faim, et la famine, sont encore des réalités du monde contemporain et cet objectif est encore loin d'être atteint. [...]
[...] Nous connaissons maintenant les causes, mais quels sont les moyens pour prémunir les populations de ces catastrophes humaines et alimentaires ? A. L'éradication de la famine par la prévention et la démocratisation 1. La prévision et la prévention des famines Prévoir la famine Prévoir la famine est aujourd'hui devenu possible grâce à de nombreux systèmes de surveillance et d'alertes. Des satellites scrutent en permanence les conditions météorologiques, l'évolution des masses d'air et des océans, rendant prévisibles sécheresses et autres cataclysmes. Des observatoires sont aussi mis en place dans chaque pays, des analyses faites sur l'état de nutrition des populations. [...]
[...] Cependant, la famine ne naît pas d'un simple déséquilibre entre nourriture et population comme on l'a vu. Le Prix Nobel d'économie écrit : «Les libertés substantielles dont disposent les personnes et les familles pour s'approprier des ressources suffisantes de nourriture rentrent aussi en jeu. Les famines naissent d'un contexte politique et socio-économique, car la quantité totale de nourriture disponible sur le marché compte moins que les droits d'accès dont jouissent les individus et qui leur permettent d'acquérir une certaine quantité de produits de base.[15]» Ces droits d'accès dépendent de la dotation en ressources des familles et individus, qu'il s'agisse de biens ou simplement de leur capacité de travail, de leur possibilité de production (expérience et formation, mais aussi conjoncture économique et interdépendance sociale vis à vis des producteurs de denrées) et enfin des conditions d'échange, c'est-à-dire des prix relatifs des produits et de la capacité de vendre et acheter. [...]
[...] Amartya Sen juge que les famines se nourrissent de l'immunité politique dont jouissent les gouvernements politiques. Il est évidemment souhaitable que l'on mette fin à l'impunité des dictateurs, car ce ne sont jamais les détenteurs de l'autorité qui souffrent de la faim et de ses conséquences. De plus, l'indépendance des médias est aussi très favorable à la lutte contre les famines, car elle crée une incitation à l'action pour les gouvernants. L'absence de censure permet de connaître ce qui se passe dans le pays et de dénoncer l'incurie des hommes politiques, tant à l'échelle locale, ce qui met les gouvernants politiquement en danger, qu'à l'échelle mondiale, avertissant la communauté internationale des difficultés rencontrées et pouvant mobiliser l'aide humanitaire. [...]
[...] L'exemple de la famine ukrainienne des années 1930 a montré qu'une population considérée comme riche pouvait être touchée. Staline avait alors fait le choix de mener une dékoulakisation estimant que les paysans ukrainiens résistaient à la collectivisation des moyens de production, brisant au passage le nationalisme ukrainien. On peut donc cibler certaines populations afin de récupérer leurs revenus et leurs biens au travers de pillages, afin de les transformer en otages humains, pour attirer l'aide humanitaire dans des camps de réfugiés ou de déplacés, ou afin de les éliminer purement ou simplement. [...]
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