La nouvelle question sociale, par Pierre Rosanvallon

Résumé du document

Cette question renvoyait aux dysfonctionnements de la société industrielle naissante. Mais les phénomènes actuels d'exclusion ne renvoient pas aux catégories anciennes de l'exploitation. Une nouvelle question sociale a ainsi fait son apparition. Les anciennes méthodes de gestion du social sont dés lors clairement inadaptées. Ce sont les principes organisateurs de la liberté et la conception même des droits sociaux qui se trouvent remis en cause.
Une troisième crise de l'état-providence, d'ordre philosophique, est en train de s'ouvrir. Elle dessine un nouveau paysage social en creux, avec deux problèmes majeurs :
- La désagrégation des principes organisateurs de la solidarité.
- L'échec de la conception traditionnelle des droits sociaux à offrir un cadre satisfaisant pour penser la situation des exclus.
Aujourd'hui la refondation intellectuelle de l'état-providence est devenue la condition même de sa survie. Les anciens mécanismes producteurs de solidarité sont en train de se désagréger de façon probablement irrémédiable. On assiste à une séparation progressive des deux univers de l'assurance sociale et de la solidarité. La vision des droits comme droits compensateurs d'un dysfonctionnement passager devient inadaptée et donne naissance à une spirale d'autodestruction de la solidarité. Au-delà des procédures standardisées traditionnelles, il faut par ailleurs également que l'état-providence puisse personnaliser ses moyens, pour s'adapter à la spécificité des situations.
Cette crise marque une inflexion décisive dans la perception du sociale qui a prévalu pendant près d'un siècle et l'entrée dans un nouveau moment de la modernité. Nous entrons dans un nouvel âge du social, dans un nouvel âge du politique. Approfondissement de la démocratie et progrès social devront nécessairement aller dorénavant de part.

Extraits

[...] Elle doit en effet trouver la voie d'une assistance non dégradante, qui prenne la forme d'un droit et non d'une mise sous tutelle. L'idée était largement répandue que l'avènement de la société moderne libérerait les individus des cadres contraignants dans lesquels ils étaient autrefois inscrits, mais qu'il les rendait simultanément plus vulnérables. Les états socialistes avaient à leur façon mis en place un système de droits sociaux sans citoyenneté. Ils incarnaient une forme d'État- providence qui assurait toute une série de droits matériels en contrepartie de la subordination politique. Le droit de mendier. [...]

[...] Elle prend aussi nécessairement la forme d'un devoir individuel face à des personnes particulières. L'état ne peut pas tout et il faut restaurer une plus grande continuité entre l'action individuelle et l'action collective. L'obligation morale de la solidarité implique désormais d'en redéfinir les termes. La redéfinition du progrès social qui est appelée par la fondation d'un nouvel état actif providence conduit pour ces raisons à poser la question d'une nouvelle culture politique. Un nouvel âge du politique doit correspondre au nouvel âge du social. [...]

[...] Nos sociétés retrouvent aussi un sens plus marqué de la responsabilité individuelle. En outre, notre perception de l'insécurité évolue parallèlement. De nouvelles formes d'insécurités sociales apparaissent. La sécurité sociale n'apparaît plus alors comme le centre agrégateur du progrès social. Elle ne couvre désormais plus qu'une partie du champ dit social. L'inné et l'acquis. Les progrès de la génétique médicale vont aussi modifier le système existant en induisant une révolution considérable dans notre perception du rapport des individus à la société. [...]

[...] La révolution discrète du RMI. Le RMI appartient à une espèce hybride. Il représente un nouveau type de droit social, occupant une position intermédiaire entre droit et contrat, institutionnalisant une certaine dette sociale. Il prend en compte le comportement individuel et la situation particulière dans l'exercice du droit, ce qui est tout à fait novateur. En effet, son attribution est subordonnée à une forme de contrôle des comportements. C'est une nouvelle forme de rapport au droit qui est en train de s'inventer à travers cet exemple. [...]

[...] Tout se passe comme si une partie de la réalité passait de fait à travers les mailles du filet, pourtant très serré, des chiffres produits par les divers instituts statistiques. La société apparaît moins lisible dans sa totalité. Il y a formation d'une vaste classe moyenne, plus difficile à appréhender. La différence est alors recherchée pour elle-même, et sa quête ne saurait avoir de fin. Dans ce contexte, les comportements deviennent opportunistes : chacun règle sa conduite selon les circonstances. [...]