« Une jeune fille promise à un beau destin, et qui ne sait encore si elle doit résister ou céder ». Françoise Létoublon se demande si le tableau de Titien L'enlèvement d'Europe ne serait pas le symbole de notre période d'incertitude. Une Europe qui aujourd'hui se cherche, ne sait plus où s'arrêter et comment se définir. Une identité floue, un politique en devenir qui suscite intérêt et interrogations. En recherchant son origine pour trouver son horizon, quoi de plus beau qu'un mythe fondateur dont l'héroïne a donné son nom à l'entité que nous bâtissons aujourd'hui ? Un mythe qui enracine de fait l'importance fondamentale et le rôle structurel de l'imaginaire, des représentations et de la transmission à travers les âges, une héroïne qui annonce l'importance des destins individuels au service de l'Histoire. L'utilisation du mythe d'Europe dans l'Antiquité, sous la Renaissance et jusqu'au XX° siècle à des fins politiques, voire même propagandistes, servent à justifier la défense du continent contre les « barbares » d'Asie, ou représentent l'Europe transportant sur son dos un taureau aux traits du Général De Gaulle. Il met en exergue le lien très étroit entre les représentations, les personnages à forte dimension symbolique et le politique. C'est ce rapport que nous souhaitons étudier à travers le prisme des héros.
En interrogeant les héros, il est nécessaire de faire attention aux jugements moraux qui peuvent s'y rattacher, en lien avec un contexte historique et un projet politique. La valeur accordée à des personnes dépend du contexte historique, politique et social. De plus, la recherche de grands hommes est souvent liée à un but politique, la communauté qui le célèbre reconnaissant à travers lui des valeurs et des images qui sont en adéquation avec son objectif. Les enjeux intrinsèquement liés à ces figures, que nous étudierons plus tard, amènent à prendre quelques précautions, à distinguer « les scélérats illustres » des hommes et des femmes qui ont réellement marqué leur temps ou les temps postérieurs, ceux que l'abbé de Saint Pierre appelle, dans l'Encyclopédie de 1777, les « génies spéculatifs » qui « perfectionnent les connaissances les plus importantes au bonheur des hommes » ou les « génies praticiens » qui s'attachent au bonheur d'un projet concret.
Nous chercherons donc, à travers ce mémoire, à étudier ces notions de héros, de grand homme, et leur interaction, leur résonance dans le processus d'unification de l'Europe.
[...] On peut alors tirer quelques conclusions : d'abord de la fragilité relative de l'identité européenne, ou du moins de sa personnification ; ensuite que l'individu se définit d'abord par son appartenance à un pays donné puis à l'entité Europe. Les grands hommes reconnus sont comme le signe de l'apport proprement national à l'Europe. L'enjeu ne serait pas de créer l'Europe mais d'en être constitutif. Apparaissent néanmoins des figures proprement européennes, dont l'identité n'est plus définie par la nationalité, comme Léonard de Vinci, Christophe Colomb, Napoléon ou Marie Curie. [...]
[...] On devient européen par éducation. Le débat autour de l'Europe dans l'enseignement est vivace, non tranché, et dépasse la simple recherche de grands hommes européens. Les Monnet, Spaak, De Gasperi ne suffisent pas à créer une Europe des citoyens, ils sont absents ou peu présents dans la conscience européenne, comme l'a révélé le sondage. Il n'est pas encore possible de créer une histoire européenne avec des lieux de mémoire des groupes européens, et cela tient à la spécificité d'une conscience européenne dépendante des consciences nationales. [...]
[...] C'est la figure de Victor Hugo, citée dans les sondages. Maître du romantisme, génie littéraire qui a parcouru le siècle et ses transformations, homme politique investi dans la vie publique, proche du peuple pour les causes qu'il défend mais bénéficiant d'une aura qui le plaçait au-dessus du commun. Ses funérailles et l'émotion suscitée révèlent de la dimension du personnage : un grand homme reconnu de son vivant, un homme profondément européen dans ses discours et ses prises de position, un Européen proche de son peuple. [...]
[...] La philosophie bouddhiste en est un exemple. Cependant, le grand homme bouddhiste, reporté dans la grille de lecture occidentale et européenne, est plus proche du sage que du grand homme à proprement parler, encore moins que du héros. (cf. Annexe 1). Enfin, on constate aujourd'hui que, même lorsqu'ils sont nationaux, les héros reconnus en Europe ont une caractéristique commune : ils ont tous fait quelque chose, et c'est cette action, cette marque sur le monde qui les distingue plus que leur personne elle-même ou leur pensée. [...]
[...] Un fond civilisationnel européen commun Une notion de héros culturellement européenne ? Dans l'Europe du Moyen-Âge unie par la Chrétienté, la reconnaissance de Jésus Christ comme Messie permet d'installer dans l'imaginaire collectif la figure du sauveur, guide de l'humanité vers un univers meilleur. De plus, l'organisation de fidèle n'est pas en relation directe avec Dieu, mais par l'entremise d'un prêtre qui ayant reçu le sacrement de l'ordination, donc plus proche de Dieu, plus digne d'être l'intercesseur ? Cette place particulière du prêtre dans un monde (le Moyen-Âge) où l'identité est principalement religieuse va se transposer sur le héros dans les domaines séculiers. [...]
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