La France est le premier producteur mondial et jouit d'un prestige incontestable, tant pour le vin blanc que pour le vin rouge. Toutefois, la tradition viticole française doit faire face à une crise insidieuse, profonde et dangereuse. En effet, le vin français survit grâce aux aides européennes, et ce car la production connaît un décalage grandissant avec la consommation.
Alors que la production viticole de l'Union européenne au cours des cinq dernières années a été évaluée entre 166 et 196 millions d'hectolitres, la consommation en France a diminué de 10% et a connu une chute considérable dans les autres pays. Aussi, en 2003, la production mondiale de vin s'est élevée à 269 millions d'hectolitres. Selon les prévisions, elle serait de 275 millions d'hectolitres en 2008, dont 30 millions ne trouveraient pas preneurs.
De manière générale et pour le vin en particulier un rapport de la Commission sur le vin souligne que les pratiques et les habitudes de consommation évoluent. La nécessité de s'adapter paraît alors inévitable. Et c'est par un travail de coordination entre viticulteurs et institutions nationales et européennes que cette adaptation semble possible.
Dans le milieu viticole, le rôle joué par l'Europe est décisif. S'interroger sur son influence sur le local c'est étudier un secteur sur lequel l'Europe a eu un impact essentiel. En effet, nous pouvons constater une multiplication des interactions entre le niveau local, l'échelon national et européen qui permet de caractériser les modes de décisions de « gouvernance polycentrique ». Ainsi, les syndicats et les fédérations des caves sont consultés par la Commission européenne. Leur action a été institutionnalisée au sein du Copa-Cogeca.
L'Europe agit sur l'échelon local, également, par des financements dans divers secteurs. Les financements sont définis au niveau de la Commission européenne sous forme d'enveloppe nationale. Certaines organisations comme le Copa-Cogeca ou le Parlement peuvent émettre des avis. Chaque Etat reçoit donc une enveloppe financière qu'il est libre de distribuer et d'attribuer comme il l'entend.
Il n'y a ainsi aucun contrôle de la Commission sur l'utilisation des fonds débloqués pour la viticulture. Afin d'obtenir ces financements, les viticulteurs doivent répondre aux critères fixés par l'Etat selon des prescriptions communautaires. Ceci oblige donc les viticulteurs à s'adapter pour être susceptible de répondre aux exigences fixées et ainsi obtenir des aides, essentielles en période de crise.
Par ses politiques et les réponses éventuelles aux problèmes qu'elle est susceptible d'apporter, l'Europe semble donc jouer un rôle phare dans la viticulture. De plus, du fait des compétences partagées et des compétences exclusives, les autorités nationales sont court-circuitées et tendent à perdre de l'importance.
Cette dénationalisation au profit d'une européanisation, renforce l'importance de l'Europe dans la viticulture. La politique de l'Union est à la fois « réglementaire » c'est-à-dire qu'elle fixe les objectifs et prescriptions et « constitutives » par les procédures de négociations qu'elle met en place, donnant lieu à la « gouvernance polycentrique ».
Par ces politiques, les viticulteurs devraient intérioriser les normes, valeurs dont elles sont porteuses et ainsi modifier leur comportement. Un « effet d'apprentissage » devrait avoir lieu. De même, il s'agit d'étudier si un phénomène d'européanisation du local a eu lieu par l'intermédiaire de l'action de l'Union européenne.
L'européanisation est « l'impact de l'Union européenne sur les politiques, la politique et le politique au niveau national. Ce terme fait référence aux processus de construction, de diffusion et d'instrumentalisation de règles formelles et informelles, de procédures, de paradigmes de politiques publiques, de styles, de « façons de faire », de croyances partagées et de normes, qui sont dans un premier temps définis et consolidés au niveau européen, puis incorporés dans la logique des discours, des identités, des structures et des politiques publiques » au niveau national, mais aussi local.
Il s'agit de voir si l'Europe influence le local et si par un effet de rétroaction le local est en mesure d'influencer le niveau de décision européen. En d'autres termes, peut-on observer un processus de « gouvernance polycentrique » dans laquelle l'échelon européen, national et local seraient intégrés à la prise de décision ? Il s'agit aussi de mesurer la profondeur du changement.
Analyser l'européanisation du local à travers les financements européens permet de se demander s'il est approprié de parler d'effet d'apprentissage ou s'il y a eu simplement une logique du guichet. Ceci indiquerait que les acteurs obtiennent des financements sans participer au processus de décision et de définition de ceux-ci. Ils n'intérioriseraient pas les normes, les valeurs dont sont porteurs les financements.
Dès lors, comment expliquer le décalage entre la compétence croissante de l'Union européenne dans la viticulture et le fait que les viticulteurs ne saisissent toujours pas les enjeux européens ?
[...] C'est plus simple Les informations demandées relèvent du détail pour les viticulteurs et ils n'en saisissent pas le sens. La même constatation a lieu dans le Beaujolais : Nathalie Fauvin affirme qu'elle obtient quelques aides de l'Europe mais les démarches sont très difficiles et longues ( ) il est vrai que les démarches pour obtenir ses aides sont complexes On voit ainsi qu'il existe réellement un coût d'entrée Cependant, aux vues des nombreux entretiens que nous avons conduits, nous ne pouvons pas vraiment observer de logique d'investissement et encore moins de phénomène d'apprentissage En effet les viticulteurs sont peu familiarisés avec les procédures et parfois cherchent peu à le devenir. [...]
[...] Paul Barbazanges assure que là-bas ils sont fous, quand ils sont pas contents, ils prennent une masse et ils vont taper sur tout ce qui bouge. Là c'est autre chose.[77] Au contraire dans le Puy-de- Dôme, il n'existe pas d'instance de représentation puissante pour défendre les viticulteurs et pour leur faire état au plus vite des décisions prises par la Commission les concernant, comme le fait Mme Castex. Quant aux acteurs intermédiaires (spécialement le Conseil général et la fédération viticole), on peut observer qu'ils perçoivent mieux les enjeux européens. [...]
[...] Ainsi, la viticulture fait partie des compétences de l'Union. Or, il s'agit d'un secteur important car la France est le premier producteur mondial et jouit d'un prestige incontestable. L'action de l'Etat est en aval : il répartit les enveloppes nationales, définit les critères d'obtention en fonction d'un cadre fixé par la commission au préalable. L'Etat, par son action et ses discours, cherche à légitimer son rôle afin d'apparaître comme un acteur central aux yeux des citoyens. Ceci s'opère en dissimulant le rôle de l'Union européenne et en la discréditant. [...]
[...] le sénateur Simon Sutour et celle de l'Assemblée ont été entendus par la commission. Il en a été de même pour les députés français élus au Parlement européen. Lorsqu'une réforme ou une directive controversée est adoptée, l'Etat fait de l'Europe un bouc émissaire. Ceci lui permet à la fois de ne pas porter la responsabilité des décisions impopulaires et de les attribuer à l'Union européenne. De plus, le gouvernement est sollicité pour transmettre des demandes à la commission européenne par les collectivités territoriales. [...]
[...] L'exemple de l'aide au stockage privé à long terme des moûts de raisin[53]. Ce dossier s'avère complexe à remplir du point de vue du formulaire de demande d'aide mais aussi de l'ensemble des annexes. Ces dernières supposent que le viticulteur dispose de temps pour les lire car elles sont à la fois longues et complexes. Elles occupent 11 pages du dossier sur 15. Le viticulteur doit les lire cependant avec une grande attention car elles définissent les critères d'obtention d'aides. [...]
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