« Etat-nation », « Souveraineté nationale », « Société des Nations » : le concept de nation semble intrinsèquement lié à celui des Etats modernes, tels qu'ils se sont progressivement construits en Europe au cours du 18e et du 19e siècle. Les nationalistes, constructeurs de l'identité nationale, présentent la nation comme un organisme nécessaire et immuable à travers le temps. Pour prendre en compte la contingence et la modernité objectives de la nation, on l'abordera plutôt en tant que « communauté politique reposant sur la prise de conscience, objective ou imaginée, de caractéristiques communes et d'un vouloir-vivre en commun » . En quoi le travail de détermination et de diffusion d'un patrimoine dit national a-t-il été Européen, dans le sens où la création des identités nationales a été une entreprise européenne qui a fortement influé sur le cours de l'histoire du continent ?
Pour le comprendre, il est nécessaire de dépasser la traditionnelle opposition nationalisme allemand / nationalisme français. La création de l'identité nationale s'y est faite parallèlement et similairement ; cette entreprise européenne porte dès le 18e siècle les germes de l'histoire contemporaine des Etats allemand et français et, au-delà, de l'Europe.
[...] Au-delà de son slogan Travail, famille, patrie qui prône sentiment d'appartenance nationale et traditions, le régime proclame le folklore culture nationale de la France. Le travail de construction des nations a donc été une entreprise européenne, au sens où elle a impliqué des acteurs européens, cosmopolite, et a nécessité la mise en place d'un réseau européen d'élite et de pratiques. La dérive du sentiment national vers une conception hiérarchisée des nations a favorisé la xénophobie et le bellicisme qui provoquèrent guerres et antisémitisme au 20e siècle. [...]
[...] Anne-Marie Thiesse parle d'un cosmopolitisme du national : le nationalisme patriotique va de pair avec le cosmopolitisme intellectuel, car la construction identitaire implique l'engagement d'acteurs européens, et la mise en valeur des cultures nationales enrichit l'ensemble du patrimoine européen. Du nationalisme universaliste au nationalisme fermé et belliqueux Jusqu'à la moitié du 19e siècle, le nationalisme issu de ce mouvement européen de construction identitaire refuse tant le monolithisme culturel que le despotisme politique : c'est un nationalisme universaliste, qui reconnaît des droits égaux à chaque nation. [...]
[...] La nation implique que l'autorité passe d'un pouvoir royal distinct du peuple, qui tire sa légitimité de Dieu, à un Etat qui permet l'intégration des corps et des classes en une seule nation dont il tire sa légitimité. Il est moins question de hiérarchie des nations et des races que de souveraineté des nations, égales entre elles. C'est ce nationalisme universaliste qui a ouvert la voie à l'idée européenne. Mais à partir de 1850 s'impose l'idée de l'inégalité des nations. En 1853, Joseph Arthur Gobineau publie son Essai sur l'inégalité des races humaines. Ce fervent antidémocrate fustige les révolutions de 1848. Il esquisse une raciologie qui hiérarchise les nations, annonçant un nationalisme belliqueux. [...]
[...] Anne-Marie Thiesse évoque un système IKEA de construction des identités nationales : à partir de mêmes catégories élémentaires sont obtenues des montages différents. Identification d'ancêtres mythiques, écriture d'épopées fondamentales, d'une histoire nationale, détermination d'une langue nationale, recension du folklore, illustration de la nation, et diffusion de cette conscience nationale à la masse populaire Ces démarches de construction identitaire sont entreprises identiquement en France et en Allemagne. Ainsi le folklore est-il donné à voir en 1884 au musée du Trocadéro, avec l'inauguration de la Salle de France, tandis qu'ouvre en 1889 un musée des costumes allemands. [...]
[...] L'histoire de la construction des nations éclaire ainsi l'avenir de l'Union européenne. Les Européens en l'état actuel des choses semblent aussi pourvus d'identités nationales que dépourvus d'identité européenne ; mais ce sentiment national n'est ni nécessaire ni inné. Il est le résultat d'un travail collectif et volontaire, que l'Union européenne a les moyens d'entreprendre. Bibliographie indicative ANDERSON Benedict, L'imaginaire national Réflexions sur l'origine et l'essor du nationalisme, La Découverte THIESSE Anne-Marie, La création des identités nationales Europe XVIIIe- XXe siècle, Seuil BRAUD Philippe, Sociologie politique, LGDJ Tels Herder en Allemagne ou l'orientaliste Volney en France. [...]
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