Quand en 1987, Hartmut Kaeble publie son ouvrage "Auf dem Weg zu einer europäischen Gesellschaft, 1880-1890", l'Europe de l'ouest traverse, depuis plus d'une décennie, une période de morosité économique et de ralentissement de la construction européenne. Ce grand historien allemand contemporain, spécialiste des questions d'identité européenne ou encore de mobilité sociale et professeur à la Humboldt-Universität de Berlin, décide alors de défendre l'idée qu'indépendamment de l'intégration économique et politique, les sociétés d'Europe occidentale ont connu un rapprochement qui aurait suivi une dynamique propre.
H. Kaelble décide donc de dépasser l'histoire des institutions et de l'intégration économique dans le marché commun pour proposer une inédite histoire sociale de l'Europe qui, fondée sur l'analyse comparative des sociétés européennes entre elles et avec les sociétés des autres pays développés du globe, met en évidence l'accroissement de nombreuses similitudes et interdépendances des sociétés européennes au cours du XXe siècle.
Il en vient même à parler dès l'introduction d'une « mentalité européenne durable aussi bien au sein de l'élite politique que de son électorat » et à écrire qu' « il ne faut pas éliminer de l'étude historique les réactions de « l'homme de la rue» à l'intégration européenne ».
Il distingue cinq aspects fondamentaux à l'intégration sociale, à savoir :
- les particularités sociales entre les sociétés européennes et non européennes ;
- les convergences et les divergences entre les sociétés européennes ;
- les relations d'échanges entre pays européens et notamment extra-économiques (idées, concepts, connaissances scientifiques, familles sans frontières)
- l'apparition d'organisations tant officielles qu'informelles, politiques, sociales et économiques, à un niveau inférieur à celui des institutions européennes ;
- l'attitude à l'égard de l‘Europe du citoyen moyen au même titre que de l'élite.
Les deux premiers aspects de cette liste sont les seuls qu'il soit aisé de traiter du fait de la grande documentation accessible à leur sujet et ils constituent donc la structure du livre de H. Kaelble. L'entreprise de l'historien consiste donc à faire une synthèse des connaissances sur l'intégration sociale de l'Europe depuis la fin du XIXe siècle.
[...] L'Europe n'est donc pas un modèle absolu de référence mais il faut tout de même noter la plus forte part du revenu national revenant aux moins riches dans les sociétés européennes. Le développement de l'État-providence et de la fonction redistributive (notamment à travers les retraites) de l'État ont encouragé cette dynamique spécifiquement européenne. On peut aussi l'expliquer par la moindre importance du facteur racial. Enfin, si le plus haut décile en Europe correspond peu ou proue à son équivalent américain, le suivant est lui beaucoup plus bas. [...]
[...] Cela s'explique par le fait qu'à l'origine, les motifs de son élaboration n'étaient pas les mêmes. Tandis que Bismarck l'a développé pour contrer les mouvances ouvriéristes, d'autres pays l'ont au contraire développé en collaboration avec les syndicats. Alors qu'au départ chaque Etat expérimentait sa propre forme d'Etat-providence avec des niveaux très variés de nombre de bénéficiaires et de types de prestations comprises, une réduction très importante des écarts a eu lieu dans l'entre-deux-guerres. Cela étant, ce n'est qu'après 1945 que le rapprochement est réellement décisif. [...]
[...] Mais malgré toutes ces divergences, il y a eu un rapprochement au long du 20e siècle dans les taux de syndicalisation et il est assez manifeste qu'une attitude commune à toute l'Europe se dégage lors de conflits de grande envergure. LES CAUSES DU RAPPROCHEMENT Après cette étude comparative des sociétés européennes domaines sociaux essentiels (production industrielle et population active, éducation, urbanisation, Etat-providence) se dégagent comme attestant du rapprochement entre les pays d'Europe de l'Ouest. En outre, ce rapprochement est tel que les différences entre les Etats d'Europe de l'Ouest et les différences régionales constatées aux Etats-Unis et URSS ne sont ne sont pas supérieures. [...]
[...] Ce rapprochement semble avoir eu une dynamique propre. Le processus de rapprochement social dans de nombreux domaines s'est en effet enclenché bien avant 1945 et la fin de l'apogée de l'Etat-Nation en Europe. En outre, c'est plus le vieux nationalisme que l'Etat-nation en soi qui a été discrédité après 1945. Pour ce qui est du boom économique, il correspond incontestablement à une période de rapprochement accéléré des sociétés européennes. La question est de savoir s'il y a eu corrélation ou causalité. [...]
[...] L'évolution du secteur tertiaire est comparable partout et l'atténuation des différences dans le secondaire remarquable. Cette harmonisation est exceptionnelle quand on la compare à la situation outre-Atlantique et en URSS où les périphéries sont beaucoup moins industrialisées et loin du centre qu'en Europe. Seul le secteur agricole demeure à contre-courant de cette dynamique de rapprochement de la structure de la population active avec des pays comme la Grèce ou le Portugal dont plus de 30% de la population travaillaient encore dans le secteur primaire dans les années 70 contre par exemple pour le Royaume-Uni. [...]
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