Comment se définir et se distinguer de l'autre quand ses valeurs ont une prétention universelle ? Est-il possible d'affirmer un paticularisme identitaire européen sans que cela ne soit envisagé comme un repli sur soi (et donc un retour au « vieux démon » qu'est le nationalisme) ou un abandon de la dimension universelle des valeurs européennes ? L'identité européenne doit-elle être la reproduction des schémas nationaux à l'échelle continentale ou doit-t-elle être multiple et se baser sur une volonté de partager des valeurs et un destin ?
Ces questions sont précisément celles que pose aujourd'hui la candidature d'Ankara à l'Europe. La Turquie joue à cet égard un rôle de révélateur et d'intensificateur d'un débat qui préexistait à sa candidature, c'est une convulsion qui intervient dans la quête d'identité de l'Europe. On assiste en quelque sorte à une nouvelle opposition, à l'échelle continentale, entre les conceptions de l'identité de Georg W. F. Hegel et d'Ernest Renan. Selon Hegel, c'est le volksgeit qui fait l'appartenance à la nation (ici Europe). La Turquie ne sauraient donc être européenne car sa culture, sa religion et son histoire ne la relie pas à l'Europe. Pour Renan , l'appartenance à la nation est le produit d'une volonté de partager un destin et des valeurs communes. La Turquie a alors prétention à être européenne si tel est son choix.
L'Europe doit aujourd'hui choisir entre ces deux conceptions. L'impact principal d'une éventuelle adhésion de la Turquie à l'Union serait d'exprimer le choix d'une identité européenne basée sur la volonté des peuples. Une non adhésion ferait pencher la balance du côté de la vision traditionnelle allemande.
Les différentes tentatives de doter l'Europe d'une identité ont ceci de commun d'avoir voulu appliquer les méthodes de construction d'une identité nationale à l'Europe, d'une identité monolithique basée sur le mythe volksgeit (Partie I). Mais la candidature Turque remet en cause ces schèmes et rappelle que l'Europe est un espace qui se définit d'abord par le partage d'une lourde mémoire et par la volonté de lutter contre les « vieux démons » du continent tel que le nationalisme (Partie II). L'Union est le cadre dans lequel cette responsabilité s'exerce, notamment par le respect des droits de l'Homme, de l'Etat de droit, et le choix de la démocratie et du capitalisme comme moyen de garantir le bonheur de ses citoyens.
[...] L'ordre totalisant considérait la différence comme une déviance, une impureté au sein de la société. Concept qui s'oppose à l'unité en philosophie. L'unité étant plus abordée le regroupement d'une pluralité. L'identité et la différence sont un couple de contraires. Platon avait démontré que dans le cas d'une réalité duelle, aucune des unités n'a de sens sans l'autre. La diffusion des valeurs universelles européennes par le biais de l'impérialisme fut d'ailleurs identifiée comme un péril par Jan Patockà. Il faut entendre par là Pères de l'Europe. [...]
[...] - Fœssel Michaël, La charge du monde. Esprit, décembre 2004, pp. 57-63. - Institut Européen de Recherche sur la Coopération Méditerranéenne et Euro-Arabe, La Turquie, est-elle européenne? MEDEA, 2002-2003. (http://www.medea.be/index.html?page=4&lang=fr&doc=1512) - Le Quintrec Guillaume, Quelles frontières pour l'Europe ? Cahiers français, 298, septembre-octobre 2000, pp. 3-7. - Molino Jean, Les métamorphoses de l'Europe culturelle Esprit, juillet 2000, pp. 94-110. [...]
[...] La culture et l'histoire performantes pour identifier l'Europe L'Europe cherche donc à définir une histoire et une culture communes à ses Etats membres. A défaut de pouvoir délimiter géographiquement son territoire, elle introduit un nouveau facteur discriminant, d'ordre spirituel cette fois-ci. Helmut Kohl avait affirmé en avril 1997 que la Turquie ne pouvait intégrer l'Union européenne car un pays musulman ne pouvait entrer dans un club chrétien Et c'est bien par la référence à la chrétienté que l'Europe veut définir sa culture. [...]
[...] Au Moyen-âge, l'Europe était définie comme la chrétienté latine par opposition à la chrétienté grecque. Elle était donc réduite à sa moitié occidentale, tout comme durant les quarante années de la Guerre Froide. Au monde libre était opposé l' Orient rouge et la représentation populaire de l'Europe assimilait la partie au tout : l'Europe Occidentale devenant l'Europe[15]. Autant dire que l'argument géographique, utilisé par certains dont Valérie Giscard d'Estaing pour écarter la Turquie de l'Union n'a aucune validité scientifique et se distingue par sa subjectivité. [...]
[...] Patočkà nous dit que l'histoire, la géographie et la culture font partie de l'identité européenne, mais que celle-ci ne s'y réduit pas. C'est ainsi qu'il parle d'une double désappropriation d'un côté tout ce qui a constitué jusqu'alors le pivot de l'identité européenne n'en constitue plus la propriété essentielle, et de l'autre la rationalité qui la caractérise ne lui appartient pas puisqu'elle a une vocation universelle. Alors, la menace pour l'Europe réside dans le fait qu'au nom d'une hypothétique mise en péril de son identité[29], elle cesse de croire aux idéaux humanistes. [...]
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