La construction communautaire a une histoire sinueuse et étonnante, qui nʼa pas toujours donné un visage aisé à lʼEurope. Sans doute reste-t-elle pour beaucoup, encore aujourdʼhui, un ensemble protéiforme lointain et indéfini. Ce constat, aussi lapidaire soit-il, fait transparaître deux réalités : dʼune part, lʼEurope nʼa toujours pas expédié les questions ontologiques les plus fondamentales qui doivent lui permettre de progresser dans la voie dʼune intégration toujours plus poussée dont lʼissue ultime est lʼEurope politique ; et dʼautre part, le décalage entre le volontarisme de certains hommes politiques et la participation effective des Européens semble aller en sʼaggravant.
Peut-être faut-il dʼabord prendre la mesure de lʼoriginalité radicale de lʼobjet européen du point de vue des sciences politiques avant de pouvoir véritablement sʼen saisir. Ainsi, la sémantique doit parvenir à rendre compte avec précision de lʼambiguïté inhérente à lʼEurope et sʼaffranchir des particularités vernaculaires pour la caractériser dʼune même voix.
[...] Lʼambition des Pères fondateurs de la construction européenne était bien au départ de nature fédérale. ! Ainsi, la Déclaration SCHUMAN du 9 mai 1950 énonçait que «par la mise en commun de productions de base et lʼinstitution dʼune Haute Autorité nouvelle, dont les décisions lieront la France, lʼAllemagne et les pays qui y adhèreront, cette proposition [réaliserait] les premières assises concrètes dʼune fédération européenne indispensable à la préservation de la paix». En témoignent également les nombreuses références aux «Etats-Unis dʼEurope», une expression dont la paternité revient dʼabord à Victor HUGO. [...]
[...] LʼÉtat européen est donc bien inexistant : lʼEurope sʼachemine vers un modèle de fédération qui réaménage les souverainetés respectives des États et des institutions communautaires Le réaménagement des souverainetés ! Lʼarticle 88-1 de la Constitution française, relatif à la participation à lʼUnion européenne, ne donne pas de blanc-seing à la Communauté européenne. Dès lors, on pourrait conclure à lʼabsence de souveraineté partagée entre les États membres et la Communauté. En réalité, il faut lever définitivement la confusion entre souveraineté et compétence pour comprendre ces rapports et rendre compte des configurations nouvelles que prend le pouvoir au sein de la Communauté européenne. [...]
[...] Une forme de «fédération dʼÉtats-Nations» sui generis semble convenir pour la réalisation de ce projet. Reste quʼelle est encore très hypothétique, rendue difficile par lʼextension de lʼUnion et la procédure dʼadoption à lʼunanimité. ! Toutefois, lʼargument dʼautorité quʼutilisent les fédéralistes les plus convaincus en jouant la carte de la continuité avec le projet originel semble bien éculé, dans la mesure où il sʼest opéré un glissement sémantique et historique très important dans la visée de lʼUnion. Il est évident que le changement de contexte doit non seulement influer la structure communautaire, mais, plus encore, amener à une véritable réflexion sur ce que sont les valeurs, les idéaux et les objectifs partagés des peuples européens. [...]
[...] Dʼautre part, une méthode graduelle, plus en phase avec le caractère fondamentalement progressif du fédéralisme. Joschka FISCHER, partisan de cette deuxième méthode, quʼil a souvent détaillée, prône une évolution progressive de lʼintégration communautaire qui doit commencer par la mise en place de coopérations renforcées, dans des domaines déterminés, entre quelques États qui en composeraient le «centre de gravité», sorte de noyau dur (Kerneuropa), duquel doit émerger la nouvelle fédération. Ce scénario cherche à éviter la dilution du projet européen dans une Union trop large et trop hétérogène mais certains lui opposent la crainte de lʼémergence dʼune «Europe à deux vitesses». [...]
[...] Ainsi, Jacques DELORS fut le premier à évoquer lʼEurope comme une «fédération dʼÉtats-Nations», ouvrant la voie à une controverse sur le paradoxe de la structure européenne, sans cesse ballottée entre un fédéralisme nouveau et les tentations intergouvernementales. ! Cʼest que, alors que le terme de «fédération» laisse supposer un assujettissement volontaire des entités fédérées à un pacte fédéral, faisant fi de leur souveraineté respective par transferts de compétences, le principe de lʼÉtat-Nation revendique une souveraineté très jacobine quʼil veut exercer pleinement, sans contrôle. [...]
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