« Nous, citoyens d'Europe ? ». Le sujet est emprunté au titre d'un livre écrit en 2001 par le philosophe Etienne Balibar.
On n'a aucun mal à imaginer cette formule en phrase d'introduction d'un manifeste politique. Pourtant, d'emblée, elle interpelle, et ce à plus d'un titre.
D'abord parce que, même si l'utilisation de la première personne du pluriel est classique, elle est plus originale lorsqu'elle pose, à l'envers de la formule canonique, la priorité des citoyens en tant qu'acteurs et détenteurs de droit sur le peuple qu'ils constituent.
Mais surtout parce que l'expression est une interrogation, et que ce point d'interrogation final questionne chaque terme. Qu'est-ce que la « citoyenneté » ? Qu'est-ce que « l'Europe » ? Mais surtout, que désigne ce « nous » ?
Très vite, il apparaît que deux interprétations sont possibles, et ce sont ces deux interprétations qui vont guider notre réflexion.
Nous allons dans un premier temps comprendre ce « nous » comme désignant les citoyens de chaque pays des Etats membres de l'Union Européenne, aujourd'hui les citoyens de 25 pays, et nous nous interrogerons sur ces « nationaux » : peuvent-ils vraiment être citoyens d'une Europe qui n'existe pas en tant qu'Etat ?
[...] L'Europe signifie- t-elle la dépolitisation, par dénationalisation, de la vie des peuples européens, c'est-à-dire la réduction constante de leur existence collective aux activités de la société civile ? Ou signifie-t-elle la naissance d'un corps politique nouveau ? L'Europe n'a progressé qu'à la faveur de cette ambiguïté qui faisait de l'Europe à la fois une chose prosaïque et utile ( ) et une chose sublime (P. Manent). Mais plus celle-ci se prolonge, plus elle risque de devenir néfaste à l'approfondissement d'une citoyenneté européenne. [...]
[...] Il ne semble alors pas pouvoir exister de citoyenneté en dehors du cadre de l'Etat-Nation. B. L'Etat-Nation est mort, vive l'Etat-Nation ? Mais, à peine quelques semaines de scolarité à Sciences Po vous suffiraient pour répondre que le thème du déclin de l'Etat-Nation est brandi régulièrement par tous les chercheurs en science politique, relations internationales, et philosophie politique. Rongé de l'intérieur par l'individualisme, le communautarisme ou simplement le désintérêt voire le rejet à l'égard de ses classes dirigeantes, affaibli à l'extérieur par une mondialisation qui lui ôterait tout pouvoir de décision et toute marge de manœuvre, l'Etat-Nation serait condamné à disparaître. [...]
[...] Le citoyen, dans son sens étymologique, est l'habitant de la cité. Or, la cité, même importante, est une entité réduite, au sein de laquelle la création d'un corps social et politique, la mise en place de droits et de devoirs, est réalisable mais déjà difficile. Surtout, la citoyenneté nécessite l'existence de valeurs partagées et d'un même sentiment de différence par rapport aux autres, une histoire commune, une langue unique. En d'autres termes, il ne paraît pas pouvoir exister de citoyens sans qu'il existe d'abord un peuple, une nation. [...]
[...] La citoyenneté européenne, citoyenneté imparfaite ? A. Le refus de la citoyenneté postnationale Nous avons donc vu que l'idée d'un nous qui désignerait des citoyens d'une sorte d'Europe Etat-Nation paraît peu crédible, la notion de citoyenneté étant trop indissociable d'un sentiment d'appartenance à un Etat-Nation que l'Europe ne peut représenter. Ceci dit, on peut se poser la question avec Etienne Balibar de savoir si l'Europe a réellement vocation à supplanter un Etat Nation défaillant. L'Etat-Nation est en crise nous dit Balibar, mais, ajoute t-il immédiatement, l'Europe n'a pas vocation à le remplacer. [...]
[...] Nous avons vu à quel point l'idée d'une citoyenneté paraît inconcevable sans un lien étroit avec la nationalité. C'est même impossible, nous rétorque Balibar. D'ailleurs, l'intégration européenne elle-même alliant démocratisme formel et bureaucratisme proliférant approcherait d'un point d'impossibilité Mais c'est précisément l'accumulation des obstacles qui offre matière à la formation de l'Europe, qui crée les conditions d'un mouvement susceptible de les surmonter, d'un surgissement d'un démos qui se donne ses propres moyens d'expression à l'échelle du continent Les citoyens européens, nous dit encore Balibar, produisent eux- mêmes, en levant les obstacles existants, les conditions d'une nouvelle appartenance Cette appartenance ne peut et ne doit pas être nationale, nous l'avons dit, puisque l'Europe n'a pas vocation à remplacer l'Etat nation. [...]
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