En abordant son ouvrage par une introduction faite d'exemples de torture et de violation des droits de l'homme, B. Hibou veut surtout souligner l'aspect limité de la torture, d'abord parce qu'elle destinée à des minorités: islamistes ou opposants très « farouches » ensuite parce qu'elle est une solution alternative, secondaire à des procédures plus subtiles, moins visibles mais tout aussi efficaces, c'est la stratégie du pourtour (intimider, servir d'exemple et définir la norme sociale) dont Hibou nous donne l'illustration tout au long de son analyse.
Présentée comme un modèle et un exemple dans le monde arabe par les Occidentaux à cause précisément de sa bonne volonté, de son ouverture et son combat contre les courants islamistes, la « douce dictature » du « régime » est reléguée au second plan, très peu décriée, elle devient dès lors banale.
Or comme précisé précédemment et contrairement aux idées reçues le régime autoritaire Tunisien ne fait pas de la répression brutale son instrument premier, bien au contraire puisque des mécanismes, des techniques et des modes de gouvernement économique bien précis rendent la contrainte plus indolore et la servitude volontaire. C'est donc dans ce schéma que je vais développer l'analyse, c'est-à-dire en mettant en avant la puissance de l'économie politique de l'assujettissement et ses techniques puis en expliquant comment la normalité, le bien-être et l'enrichissement deviennent les résultats de mécanismes contraignants, ces derniers sont dès lors recherchés voire désirés et pour finir mettre en articulation l'interdépendance créée par ces relations de clientélisme et de discipline socio-économique pour mettre en lumière le système fictif et la construction de l'imaginaire comme étant au cœur de l'exercice autoritaire du pouvoir de la vie quotidienne des Tunisiens.
[...] De par sa formation, elle privilégie les liens entre politique et économie. Elle inscrit ses recherches dans le cadre épistémologique du philosophe Michel Foucault ou du sociologue Max Weber. Parmi ses travaux: * La privatisation des Etats Karthala, Paris * La criminalisation de l'Etat en Afrique (coécrit avec Jean-François Bayard et Stephen Ellis), éditions Complexe/CERI, Paris Ces dernières années, elle a concentré ses recherches sur la Tunisie pour laquelle elle a bâti un remarquable travail de terrain (1997-2005) avec pour aboutissement un livre synthétique sur le fonctionnement du régime politique tunisien : La force de l'obéissance. [...]
[...] En effectuant une analyse micro de l'économie et de la politique, B.Hibou met les relations entre les individus au centre de la décomposition de la problématique, ce qui renforce l'idée de l'indépendance mutuelle et fait ressortir des mécanismes insoupçonnés d'assujettissement. La démarche empirique et les exemples concrets donnent un sens plus réel à l'illustration de son analyse en même temps que son souci d'entrer dans le détail des mécanismes notamment en analysant le fonctionnement du parti, des associations, des maisons de quartier, des banques, des PME, du système fiscal Cela étant dit, l'ouvrage ne manque pas de quelques limites, d'abord en voulant éviter la surinterprétation politique du contrôle et de la domination, l'auteur tombe dans le piège de la surinterprétation socio- économique, ce qui amène en dernier lieu a sous-estimé la répression policière qui reste très présente, surtout très efficace. [...]
[...] C'est précisément de la construction de cet imaginaire qu'il va s'agir dans la troisième partie. 3-Système fictif, construction de l'imaginaire et consensus imposé Entre un pouvoir qui procède par techniques d'assujettissement, de discipline voire même de dressage, et une société civile acceptant le contrôle, la contrainte cherchant même la servitude, le paradoxe tunisien prend tout son sens. D'abord de par ce système fictif qui cache une modernité en trompe-l'œil selon l'auteur, l'endettement, la gestion défectueuse et la mauvaise gouvernance (souvent constatées par les observateurs indépendants) arrangent finalement tous les acteurs, l'État garde la mainmise sur le domaine politique et joue de sa bonne volonté pour combler le déficit bancaire grâce aux bailleurs de fonds notamment, les entrepreneurs et les consommateurs s'enrichissent grâce aux créances douteuses et aux prêts à consommation sans être pressés de les rembourser, les banques elles sont totalement déresponsabilisées. [...]
[...] La critique, la distanciation est, non seulement, interdite et sévèrement sanctionnée, mais elle aussi mal vue par la société elle-même c'est le prix à payer selon un des entretiens de B.Hibou, ce prix désigne le silence parfois difficile, mais tellement rationnel, il désigne aussi le consensus autour de la parole du président, tandis que la stratégie du pourtour décourage plus d'un à sortir du lot, le laisser faire face à l'évasion fiscale, le commerce informel et le favoritisme, encouragent la participation visible à ce consensus, celui-ci devient donc imposé non pas par la force brute destinée à une minorité, mais par la force de l'économie politique, la dépendance et le système d'intérêt mutuel, puisqu'en Tunisie tout est négociable . III- Apports et critiques Incontestablement l'apport principal de ce livre est l'articulation de la dimension économique et politique dans l'analyse comparative, c'est-à-dire une nouvelle manière de problématiser la domination et le fonctionnement de la répression. L'originalité de l'approche est aussi à souligner, dans sa manière de se distancier des approches dominantes dans les études de cas (notamment dans le monde Arabe et Musulman): transitologie, islamologie qui négligent bien souvent les dimensions sociales des rapports entre dominants et dominés. [...]
[...] Hibou veut surtout souligner l'aspect limité de la torture, d'abord parce qu'elle est destinée à des minorités: islamistes ou opposants très farouches ensuite parce qu'elle est une solution alternative, secondaire à des procédures plus subtiles, moins visibles, mais tout aussi efficaces, c'est la stratégie du pourtour (intimider , servir d'exemple et définir la norme sociale) dont Hibou nous donne l'illustration tout au long de son analyse. Présentée comme un modèle et un exemple dans le monde arabe par les occidentaux à cause précisément de sa bonne volonté, de son ouverture et son combat contre les courants islamistes, la douce dictature du régime est reléguée au second plan, très peu décriée, elle devient dès lors banale. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture