Les banques centrales sont les seules à pouvoir émettre des billets, et détiennent les réserves de change des pays. De plus, elles décident de la politique à mener concernant l'inflation et le pouvoir d'achat (par l'intermédiaire des taux d'intérêt). Enfin les banques centrales jouent le rôle de prêteur en dernier ressort : elles assurent donc la stabilité du système bancaire. Pourtant, les banques centrales doivent-elles être indépendantes ?
A la suite d'une crise financière de portée mondiale, les politiques de droite comme de gauche s'accordent à remettre en question l'irresponsabilité du banquier central, voire sa légitimité (le gouverneur de la BCE, M. Trichet, n'étant pas démocratiquement élu mais nommé par les chefs d'Etat de la zone euro).
Alors que d'aucuns invoquent Montesquieu dans le sens d'une séparation du pouvoir financier du politique afin de lutter contre l'inflation en dehors de tout débat partisan, d'autres insistent davantage sur un équilibre des pouvoirs en fustigeant notamment l'irresponsabilité totale de la BCE. Ainsi deux économistes à première vue en opposition, E. Le Héron (économiste et président de l'association pour le développement des études keynésiennes) et P. Moutot (directeur général adjoint à la BCE et élève de Robert Lucas) se proposent de débattre ensemble afin de répondre à cette question très actuelle. Leur opposition quant aux origines de l'indépendance des banques centrales fera l'objet d'une première partie, pour de s'intéresser ensuite au cas concret de la BCE au centre des critiques, en évoquant d'éventuelles pistes de réformes visant à apporter davantage de légitimité au banquier central.
[...] Le Héron la BCE décide elle-même de fixer ses objectifs, pour P. Moutot son mandat est clairement défini par Maastricht: c'est la recherche de la stabilité des prix (le Traité affirmant que BCE définit et met en oeuvre la politique monétaire de la Communauté[7]”). Pas question pour elle de mener une politique de l'emploi ou de croissance: sa légitimité vient du fait qu'elle ne traite que de l'inflation, avec pour seule liberté celle de choisir sa cible puisqu'il s'agit d'une question technique. [...]
[...] Dans ce contexte se sont développées les premières banques centrales: la Riksbank suédoise en 1668, la Banque d'Angleterre en 1694, la Banque de France en 1800. Au début du XXe siècle, une nouvelle mission est confiée aux banques centrales: celle d'accorder des prêts aux banques en difficultés, faisant par là de la banque centrale une “Banque des banques”. En 1913, la Federal Reserve américaine est créée dans ce but. Après cette brève historique de l'apparition des banques centrales, P. Moutot va chercher à montrer la relation ambigüe entre le pouvoir politique et le pouvoir financier. [...]
[...] En 1977, Kydland et Prescott apportent une justification théorique à la règle monétariste en montrant qu'il est impossible de descendre en- dessous du NAIRU des monétaristes (taux de chômage naturel), même à court terme: c'est pourquoi l'arbitrage entre chômage et inflation est impossible. Cet arbitrage serait notamment utilisé par les politiques qui accroissent l'offre de monnaie pour stimuler l'économie afin d'être réélus, créant par là un biais inflationniste. Dès lors, la politique monétaire ne doit plus se préoccuper que de stabilité des prix et non chercher l'arbitrage entre chômage et inflation. [...]
[...] Sans ce consensus, le mandat du banquier central n'aura aucune crédibilité. C'est pourquoi son objectif doit être défini par le pouvoir législatif, en lui laissant cependant une marge de manoeuvre suffisante. En contrepartie, les banquiers centraux devront faire preuve de transparence et de responsabilité, de plus leur nomination devra se faire de façon équilibrée entre les pouvoirs législatif et exécutif qui pourront ainsi garder la main sur la politique monétaire. Enfin, les intérêts du grand public, des milieux financiers et de la banque centrale doivent converger afin que le public soutienne la politique de stabilité des prix: pour cela, il faut que ce public ait une aversion forte pour l'inflation, mais surtout que la banque centrale mène sa politique en toute transparence, en communiquant sur le fait qu'il n'y a pas d'arbitrage possible entre inflation et croissance (donc que sa lutte contre l'inflation n'aura pas d'effet direct sur la croissance et le pouvoir d'achat), en établissant la différence entre l'inflation perçue par le public et l'inflation telle que le banquier central la mesure, et en convaincant le public de la compétence de ses dirigeants La BCE: une institution responsable, démocratique et représentative Alors que pour E. [...]
[...] Puis en 1983, Barro et Gordon critiquent la règle qui pour Kydland et Prescott assurait la crédibilité de la banque centrale. Ils y ajoutent le concept de réputation: la politique monétaire doit se déterminer à long terme, ce qui supprimera tout effet de surprise ainsi que les anticipations d'inflations à court terme. D'autres économistes comme Rogoff, Nordhaus ou Hibbs insisteront encore sur la nécessité d'”isoler la politique monétaire des cycles électoraux afin d'éviter des politiques opportunistes[4]”en la confiant à un banquier conservateur indépendant. [...]
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