Les principes individualistes de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen sont cependant rapidement mis à rude épreuve. La disparition de l'organisation corporatiste du travail laisse un grand vide, et émerge tout au long du XIXe siècle une pauvreté ouvrière qui échappe à la conception républicaine de la pauvreté et de l'indigence. Ce mal nouveau qui laisse pressentir que l'égalité civile et la liberté ne suffiront pas à établir un ordre social harmonieux est alors visé par l'expression de "question sociale".
La question sociale, c'est bien sûr celle du délitement du lien social dans une société débarrassée de ses corps intermédiaires depuis la loi Le Chapelier de 1791 à une ère où émerge l'industrie et la condition ouvrière moderne. La question sociale est donc un défi aux idéaux de 1789. Si on veut circonscrire davantage la notion, on en fera l'insécurité fondamentale de la condition salariale exposée dans le capitalisme industriel puis moderne à des risques (maladie, chômage, invalidité) que les anciennes solidarités – famille, village, corporation - ne peuvent plus couvrir.
Dès lors, quel a été le rôle de la question sociale dans une vie politique irriguée par le libéralisme et l'individualisme de 1789 ?
[...] Quel rôle a joué la question sociale dans la vie politique en France depuis la Révolution ? Depuis 1789, la classe politique marque son attachement – malgré quelques interruptions – à une société composée d'individus juridiquement égaux, libres d'agir selon leurs capacités sur le marché. Les différentes réactions et coups d'État ne parviennent pas à revenir sur cette conquête majeure. L'héritage majeur de la Révolution puis de l'Empire reste bien le libéralisme. Les principes individualistes de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen sont cependant rapidement mis à rude épreuve. [...]
[...] L'entrée au parlement des députés socialistes et leur participation progressive aux gouvernements participent donc d'une prise en compte de la question sociale dans la vie politique. On peut d'ailleurs y voir une raison de la stabilité de la Troisième République. Le régime connaît épisodiquement une forte agitation sociale, durement réprimée comme dans les fusillades de Fourmies de 1891, mais qui ne remet pas en cause fondamentalement le régime. Pourtant la vision républicaine demeure inefficace face aux questions sociales émergentes. On ne prélève de la question sociale que ce qu'on veut bien en voir, d'où l'accent mis sur les politiques d'assistance aux marges paupérisées et inaptes au travail qui aurait convenu à une société de petits propriétaires et producteurs, l'idéal des républicains de l'époque, mais difficilement soluble dans le capitalisme industriel du XIXe. [...]
[...] Dès lors, quel a été le rôle de la question sociale dans une vie politique irriguée par le libéralisme et l'individualisme de 1789 ? I. 1789-1945 : La question sociale à la marge de la vie politique De 1789 à 1945, la France connaît une grande alternance de régimes. Tous portent des projets de société très différents, mais ils ont en commun de devoir se positionner sur l'héritage des idéaux 1789. Une tendance de cette période est alors l'incapacité de la vie politique à se saisir de la question sociale autrement que par référence à la révolution ou à la contre- révolution. [...]
[...] La mise en place de la Sécurité sociale en 1945 traduit une vision politique forte, cohérente, et permet le dépassement du dispositif d'assurance des risques sociaux partiels des années 1928-1930. Le dépassement de la question sociale est alors l'occasion d'un pacte politique renouvelé : l'intégration de presque toute la population dans un salariat dominant et stabilisé, encadré par un statut qui le protège face à la réalisation de certains risques (chômage, maladie, invalidité, etc.). La question sociale est donc une inspiration majeure de la vie politique dans l'après-guerre au point que l'édifice de sécurité sociale parvient pratiquement à construire une société d'assurée contre les risques sociaux, dispositif complété efficacement par une assistance à ceux qui ne peuvent pas travailler. [...]
[...] Dès lors, la question sociale ne peut entrer dans la vie parlementaire que par effraction. Certains régimes sont renversés par des mouvements sociaux, donc échouent sur la question sociale. Pendant les révolutions de 1830 et de 1848, le peuple des barricades est pour une bonne part constituée d'ouvriers et de petits patrons des métiers traditionnels, beaucoup expriment leur colère sociale. En 1848, les ateliers nationaux organisés pour endiguer le chômage ouvrier apparaissent bien vite comme une réponse désespérée à la question sociale. [...]
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