Le prodigieux développement qu'a connu l'industrie pétrolière au XXe siècle a conduit à l'élaboration d'un mythe particulièrement vivace ou plutôt d'une série de mythes simplificateurs : mythe de l'or noir, objet de convoitises infinies; mythe de l'aventure pétrolière des origines avec son cortège de héros, de crapules et de saints; mythe de la puissance des pétroliers, hommes assoiffés de pouvoir, faisant et défaisant les gouvernements selon leurs intérêts du moment; mythe des grandes sociétés dictant aux hommes politiques leur comportement ou achetant les votes de parlementaires; et, plus récemment, mythe de la surenchère inlassable des pays producteurs, particulièrement lorsqu'ils sont arabes. La dernière mésaventure de ces représentations en forme d'images d'Épinal est la place occupée présentement par le pétrole considéré comme une « arme politique » plus puissante que les armes conventionnelles ou même que les engins de la panoplie atomique.
[...] Un dessin humoristique de Konk dans Le Monde montrait un cercueil macabre entouré de candélabres en forme de derricks. Certes, il ne faut pas minimiser le rôle qu'a joué la détention de cette matière première stratégique dans le camp des rebelles Mais, au Biafra, la répartition géographique des puits a joué un rôle plus grand que l'action directe des grandes compagnies, et l'engagement des États étrangers obéissait souvent à d'autres motivations que l'impératif pétrolier. La cause du conflit était d'abord ethnique et culturelle : les Ibos sont un peuple dont les traditions et la soif de modernisme tranchent sur celles de leurs compatriotes du Nord. [...]
[...] Grâce au talent des acteurs et à la richesse de la mise en scène, un film récent, L'Affaire Mattei, renforce cette vision réductrice de l'histoire où les héros sont exaltés cependant que les adversaires sont diabolisés. P. H. Frankel, expert pétrolier britannique bien connu et peu susceptible de tomber dans ces travers, n'en affirme pas moins, avec un humour très anglo-saxon : Le pétrole occupe une place unique dans l'imagination populaire; il est toujours dans l'actualité. On l'adore et on le craint. On célèbre avec un enthousiasme presque fanatique les forces qui, en lui, peuvent être tournées vers le bien; à l'inverse, on exagère à l'extrême sa puissance maléfique. [...]
[...] Dans les compagnies pétrolières qui ont une surface internationale, il n'est pas rare de constater qu'aujourd'hui 50 p des permis de recherches portent sur des zones off-shore. Le renchérissement du coût du pétrole accentue la crédibilité de ses substituts ou de la fabrication de l'électricité par voie nucléaire. Il n'empêche que certaines régions sont mieux placées que d'autres pour accélérer le mouvement de la noria pétrolière. En ce sens, le ProcheOrient et le Moyen-Orient sont encore pour plus de vingt ans l'épicentre de la géopolitique pétrolière mondiale. Mais l'anxiété devant la dépendance énergétique est grande dans l'opinion des pays consommateurs industrialisés et faibles producteurs. [...]
[...] A propos du pétrole, la politique et l'économie entremêlent leurs langages. Il n'est plus une richesse enfouie quelque part dans le monde que le premier venu peut extraire à sa guise. Il suscite l'intérêt des hommes politiques dès qu'ils en comprennent l'importance stratégique. On connaît la formule fameuse qu'emploie Clemenceau, chef du gouvernement français, dans la lettre personnelle qu'il adresse au président Wilson le 15 décembre 1917 : Si les Alliés ne veulent pas perdre la guerre, il faut que la France combattante, à l'heure suprême du choc germanique, possède l'essence aussi nécessaire que le sang dans les batailles de demain. [...]
[...] C'est pourquoi le pétrole stagne plus longtemps qu'ailleurs dans les zones de nationalisme ombrageux. L'Indonésie connaît présentement un grand développement pétrolier depuis l'élimination de Sukarno et la définition d'une politique plus favorable aux intérêts étrangers. En forçant un peu le trait, on peut dire que le Koweït est une invention pétrolière consécutive à la tentative avortée de nationalisation en Iran par le gouvernement de Mossadegh. Quand le canal de Suez a été fermé momentanément en 1956 et sine die en 1967, la Libye est devenue un territoire majeur pour l'exploitation pétrolière à l'ouest de Suez. [...]
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