Michel Foucault, gouvernementalité libérale, économie de marché, transition libérale, transition étatique, bio-politique, néo-libéralisme, François Ewald, Jacques Donzelot, Robert Castel, lecture critique, totalitarisme, Keynes, capitalisme
La lecture proposée par Jérôme Sgard suggère, du point de vue d'un économiste soucieux des conditions sociohistoriques et politiques de création d'une économie de marché, la défaite, évidente à ses yeux, d'une posture libérale ou néo-libérale, perçue essentiellement à travers l'ambition d'une réduction de l'État, voire d'un dépérissement de ce dernier. Le paradoxe ainsi soulevé sonne comme un démenti évident : la création d'une économie de marché ne passe pas par l'effacement de l'État, par sa faiblesse, mais par sa réaffirmation, sa présence constante, son action sans cesse dépendante de sa capacité à imposer des normes, à façonner des comportements, et à sanctionner le manquement de certaines règles.
[...] Pour ces acteurs qui vont repenser le libéralisme sous sa forme de « néo-libéralisme », les réponses classiques du libéralisme ont échoué à prévenir la montée de l'État-social ou Etat-Providence et doivent donc être reformulées. Le lien effectué entre États-providence et totalitarisme par Hayek et d'autres auteurs oblige dès lors à une reformulation du projet libéral dont les « néo-libéraux » en un sens décrètent et constatent l'échec. Foucault identifie un moment-clé dans l'histoire de cette reformulation, dans la tenue, à Paris, du colloque Walter Lipmann, du 26 au 30 août 1938. Reprenant les textes des différents intervenants de cette rencontre internationale, Foucault dresse le tableau de cette rupture interne dans l'histoire du libéralisme. [...]
[...] Comment résumer rapidement celles-ci ? Peut-être sous la forme d'un paradoxe, qui consiste pour Michel Foucault, tout d'abord, à noter à la fois les liens, mais aussi les ruptures qui s'opèrent dans le passage du libéralisme au néo-libéralisme, en même temps qu'il note aussi la diversité interne de ce néo-libéralisme, qui, en fonction de l'histoire de ses différentes branches, apparaît en effet plus complexe que certains résumés ne le laissent penser. Il y a bien en effet, entre ce que Foucault désigne et définit comme libéralisme et néo-libéralisme, des points de jonction, des héritages recyclés, et tout d'abord cette commune méfiance à l'égard de l'intervention de l'État dans l'économie, méfiance qui se transforme éventuellement chez certains en une véritable « phobie de l'État », dont on peut toutefois se demander si elle n'est pas aussi une phobie de la « démocratie ». [...]
[...] D'où la thèse de l'État-gendarme, qui réserve à l'Etat un rôle minimal, très souvent cantonné donc à la sphère de la sécurité des biens et des personnes, tant sur le plan international que sur un plan national. La question essentielle que pose le libéralisme est bien dès lors celle du seuil, de la limite à ne pas franchir. Notons au passage que c'est une position intellectuellement et historiquement fragile, car à quelques exceptions près, les thèses libérales ordinaires, classiques, même si elles reposent sur une grande méfiance à l'égard de l'Etat, n'en admettent pas moins la nécessité d'un État, certes minimal, mais Etat quand même. [...]
[...] D'où, inversement, le constat que là où l'État a manqué de force, a trahi par ses atermoiements, ses hésitations ou ses comportements contradictoires, les transitions économiques ont débouché sur des économies qui ne relèvent pas à strictement parler du marché (mais de la mafia, de la rente ou du casino On peut toutefois suggérer ici certaines limites de cette lecture, au regard notamment de l'analyse proposée dès 1978-1979 par Michel Foucault dans son cours au Collège de France consacré à la Naissance de la bio-politique. Largement antérieure aux événements qui nous préoccupent ici, cette lecture n'en est pas moins riche d'un questionnement fécond sur la genèse et les différentes formes du néo-libéralisme dont Foucault note la montée en puissance progressive. On souhaiterait à la fois ici insister sur la fécondité de l'analyse, en même temps que formuler quelques ouvertures critiques. [...]
[...] Or, c'est une position de faiblesse relative, car le débat est non pas un débat de principe, mais un débat de seuil. Et ce seuil, ce curseur, peut très bien se déplacer. C'est d'ailleurs historiquement ce que l'on peut observer tout au long du XIXe siècle, et peut-être plus encore au XXe siècle. On se reportera sur ce point notamment à l'analyse de François Ewald (par ailleurs ancien assistant de Michel Foucault au Collège de France, et l'un des artisans, avec Daniel Defert, de l'édition des cours de Foucault), proposée dans L'Etat-Providence (Grasset, 1986), aux travaux de Jacques Donzelot ou à ceux de Robert Castel[1]. [...]
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