Pour Eric Maurin, le déclassement revêt deux réalités distinctes : le déclassement effectif d'une part qui touche les salariés protégés par un CDI ayant perdu leur emploi ou encore les jeunes diplômés confrontés au chômage ou à des petits boulots sans rapport avec leur qualification et un déclassement virtualisé d'autre part, qui s'incarne dans la peur de perdre son statut.
Eric Maurin insiste sur l'importance de bien distinguer ces deux phénomènes qui sont au regard de leur nature et de leur ampleur totalement différents. Un exemple illustre parfaitement les deux phénomènes : les associations d'aide aux sans-abris recensent environ 100 000 personnes soit 0, 16% de la population. Or, d'après un sondage de 2006, 48% des français pensent qu'ils pourraient un jour devenir SDF, ils sont deux ans plus tard 60% à le penser.
L'ampleur de ces deux types de déclassement est différente. Ainsi, explique Eric Maurin, « l'immense majorité des français reste à l'abri d'un déclassement effectif ». A l'inverse, « Si le déclassement est au cœur des préoccupations d'un si grand nombre de personnes, ce n'est pas parce qu'elles ou leurs proches l'ont subi : c'est parce que son coût potentiel n'a jamais été aussi important ». La peur du déclassement est donc un phénomène puissant plus puissant encore que le déclassement effectif car il touche l'ensemble du corps social, des classes les plus populaires aux classes les plus privilégiées.
Les deux réalités du déclassement sont également de nature différente. En effet, si le déclassement est un phénomène facilement quantifiable grâce à des outils statistiques, la peur du déclassement est « un phénomène global et diffus qui, en gouvernant l'imaginaire des individus et des groupes, commande de très nombreux comportements et mouvement sociaux ». Elle n'est cependant pas tout à fait irrationnelle en ce sens qu' « elle repose sur un ensemble de faits bien réels, mais elle en extrapole le sens et en redouble l'ampleur ». Eric Maurin relève que la peur du déclassement se développe dans les pays où paradoxalement les emplois sont les plus protégés et les statuts les plus difficiles à perdre. Dans ce type de société dont fait partie la France, la peur du déclassement est vive car « la probabilité de retrouver un emploi protégé y étant mécaniquement plus faible, ce qui se perd est beaucoup plus précieux qu'ailleurs » : « Plus les murailles qui protègent les statuts sont hautes, plus la chute risque d'être mortelle – peu importe qu'elle soit improbable ». En période de crise, cette peur atteint son paroxysme car la valeur de ce qui pourrait être perdu en cas de licenciement ou d'échec scolaire augmente alors de façon exponentielle. « En augmentant subitement les enjeux, les récessions créent un choc psychologique dont l'onde se propage bien au-delà de la petite minorité qu'atteint effectivement le déclassement ».
Pour Eric Maurin, si les progrès scientifiques, la croissance économique sont des facteurs de changements sociaux, les périodes de récession jouent également un rôle fondamental dans nos sociétés en ce sens qu'elle génère des transformations sociétales majeures selon un cycle quasi-mécanique : « les récessions ont pour conséquence première d'augmenter la polarisation sociale et le coût que représente la perte d'un statut protégé. Cet effet social entraîne la diffusion, dans toute la société, d'une peur du déclassement (effet psychologique), laquelle déclenche à son tour un ensemble de décisions et de comportements qui remodèlent de fond en comble le paysage idéologique (effet politique)… »
Dans cet ouvrage, Eric Maurin propose de montrer en quoi la peur du déclassement est un phénomène particulièrement prégnant pendant les périodes de récessions et comment il influence de façon importante les comportements sociaux et politiques.
[...] Ainsi, en période de récession, les personnes dépourvues de CDI voient la perspective d'intégration d'une des formes les plus protégées de l'emploi s'évanouir. Les personnes en CDI ne sont en revanche pas aussi directement atteintes car leur probabilité de se retrouver au chômage dans un avenir proche n'est pratiquement pas affectée mais elles sont indirectement touchées car le coût inhérent à une éventuelle perte de statut s'accroît. Dès lors, c'est un gouffre qui s'ouvre devant eux et, même si la probabilité d'y tomber reste faible, sa profondeur est telle qu'elle suffit à susciter le vertige et l'angoisse La relégation de la jeunesse Eric Maurin montre que les périodes de récession touchent essentiellement les nouveaux venus sur le marché du travail. [...]
[...] Ce qui se développe en premier lieu aujourd'hui n'est pas le déclassement effectif des classes populaires, mais la peur du déclassement au sein des classes moyennes et supérieures, avec tout ce que cela implique de comportements séparatistes en matière résidentielle et scolaire Ce qui explique le développement de ces sensibilités, ce n'est pas le déclassement effectivement subi ; c'est le raidissement devant la perspective ou même la possibilité du déclassement De quelque manière que l'on définisse et mesure le statut dans l'emploi, le phénomène majeur n'est pas la perte de valeur des diplômes mais bien plutôt le désavantage croissant que représente l'absence de diplôme. Aujourd'hui plus que jamais, le titre scolaire permet d'éviter le chômage ou la relégation sociale vers des postes d'exécution. On ne saurait surestimer les tensions sociales et psychologiques que cette logique impose à l'ensemble des familles, y compris (et surtout) à l'immense majorité de celles qui, en fin de compte, réussissent bel et bien à éviter toute forme de déclassement scolaire à leurs enfants. [...]
[...] Un premier progrès serait, pour Eric Maurin de comprendre que pour aller dans le sens d'une sécurité universelle, il est préférable d'accroître l'intégration sociale de ceux qui n'ont pas ou plus de statut La clé d'un rapport plus détenu à l'avenir ne réside pas dans l'approfondissement des inégalités entre ceux qui ont un statut et les autres, mais au contraire dans la réduction Conclusion La société française vit dans une peur permanente et cette peur est au principe de stratégies individuelles et de politiques publiques qui alimentent et entretiennent cette peur. Les récessions renforcent toujours un peu plus ce cercle vicieux. Ce que révèle Eric Maurin, c'est que la peur du déclassement touche d'abord les classes les plus favorisées lesquelles n'ont jamais été aussi actives pour maintenir leur rang en mettant en place des stratégies familiales sur les marchés scolaires et résidentiels. [...]
[...] Il est vrai que le nombre de diplômés a considérablement crû : si dans les années 70, parmi les personnes arrivées depuis moins de 5 ans sur le marché du travail, le nombre de jeunes sans diplôme était quatre fois plus important que celui des diplômés du supérieur et deux fois plus important que celui des titulaires d'un baccalauréat, aujourd'hui, les jeunes sans diplôme sont quatre fois moins nombreux que les diplômés du supérieur et trois fois moins nombreux que les bacheliers. Mais cet accroissement des diplômés, loin de s'accompagner d'une dévalorisation, a bien au contraire conduit à un renforcement des avantages statutaires auxquels ils donnent accès. Dès lors, la question aujourd'hui doit être déplacée : la source du malaise ne réside pas dans la perte de statut subie par les diplômés, mais au contraire dans la valeur exorbitante que les diplômes ont fini par acquérir et dans l'énormité de ce qu'un échec scolaire fait perdre. [...]
[...] Diplômes et précarité L'avantage des diplômés sur les non-diplômés au moment de l'entrée sur le marché du travail se pérennise tout au long de la carrière. En effet, sur la période 1975-2008, l'auteur constate que s'agissant de l'exposition au chômage des personnes sorties depuis 5 à 10 ans de l'école, un avantage de 30 points se dessine en faveur des diplômés. L'avantage des diplômés face au chômage se manifeste dans les premières années de la vie active mais aussi tout au long de la carrière. Les jeunes diplômés accèdent plus vite à l'emploi et surtout plus vite à un emploi à statut, gage de protection. [...]
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