« Georges Friedmann, c'est d'abord un regard » disait Alain Touraine lors des obsèques de Friedmann en 1977. Un regard sur les évolutions de l'organisation du travail, un regard agrémenté de nombreux voyages et d'études de terrain qui confèrent à son étude un caractère scientifique éminemment précieux. C'est dans cette optique qu'il m'a paru intéressant de lire un des ouvrages référence de la sociologie du travail.
De plus, Friedmann ainsi que Naville sont les précurseurs de la sociologie du travail en France, se positionnant en marge du taylorisme et de l'école des relations humaines. Friedmann montre comment l'hyper rationalisation du travail a conduit à la déqualification ouvrière. La véritable attitude novatrice dans son analyse, ce n'est pas tant de porter un jugement sur la condition des ouvriers mais surtout de montrer que la sociologie du travail ne doit pas seulement étudier l'ouvrier au travail et sur la chaîne de production mais doit s'intéresser aux rapports sociaux par et dans le travail.
En tant que véritable émergence d'une sociologie du travail, l'œuvre de Friedmann me parait primordiale. C'est pourquoi j'ai choisi ici de la présenter et d'essayer d'en montrer les enjeux.
[...] En effet, Friedmann effectue ou reprend des enquêtes menées dans des entreprises, par des sociologues ou des psychosociologues. Il décrit la confection d'un gilet en Angleterre dans une usine où il fallait 65 postes différents afin de le produire. Tout est organisé par un planning. Pour montrer cela, Friedmann interroge et fait parler des travailleurs comme par exemple ce chef d'atelier p.34 : Coudre et piquer sur nos machines n'est pas difficile Ce qui est difficile, c'est de préparer les opérations chaque opération est minutée et il faut être habile et disposer d'une certaine dextérité au travail. [...]
[...] Il montre alors qu'il existe une interpénétration entre les deux sphères et que l'insatisfaction au travail dû à l'éclatement des tâches industrielles se répercute aussi dans la sphère domestique où la possibilité de quitter l'usine est évoquée, où apparaissent des troubles de comportements. Il me semble que la force de la démonstration de Friedmann réside dans sa capacité à lier ses deux notions et à déconstruire une idée première sur le développement des loisirs. [...]
[...] Le crédit de ce livre réside aussi dans le fait que Friedmann a su mettre en évidence ce qu'aujourd'hui personne ne pourrait contester. Le travail à la chaîne et la spécialisation produit des conséquences néfastes pour celui qui l'effectue. Friedmann n'est certes pas le premier à théoriser l'aliénation au travail, des auteurs marxistes l'ont déjà pensé avant lui, mais c'est peut être le seul à entreprendre une étude précise des cadres de cette aliénation et a montré de manière sociologique comment le travail en miettes peut s'avérer destructeur. [...]
[...] Friedmann, captant les inquiétudes des travailleurs s'interroge sur la notion de loisir, se définit-t-elle uniquement par du non travail ? Le travail dans son organisation ne permet pas à l'individu un épanouissement social et est source de désintérêt et d'insatisfaction. On ne peut penser une sociologie du travail hors de tout cadre sociohistorique, Friedmann replace le travail dans sa mouvance historique et dans une perspective future : comment les problèmes liés au machinisme vont-il se résoudre ? Quel équilibre, autrement dit quelle forme d'organisation du travail dans quelle société ? Autant de questions actuelles que Friedmann pose en 1956. [...]
[...] Mayo montre que la production dépend également des relations que les employés entretiennent avec leur hiérarchie. Ainsi, prendre en compte le système de relations humaines est primordial pour l'étude de la production. Friedmann et Naville s'opposent aussi bien au Taylorisme qu'à l'école des relations humaines. Pour Friedmann, il n'existe pas de one best way, la rationalisation n'est pas un processus immuable, inévitable au sein du progrès technique. Il montre qu'il existe différentes rationalisations, en cela il est réticent à l'idée de faire de la sociologie du travail une simple étude de la psychologie du travail. [...]
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