Mai 68 a été le théâtre d'une modification profonde des attentes des individus. A travers la remise en cause du travail aliénant, répétitif, du modèle taylorien, les étudiants et les salariés revendiquent alors un travail épanouissant, ou l'individu peut se réaliser à travers l'emploi qu'il occupe : on assiste alors à l'émergence de la volonté de dépasser la vision purement aliénante du travail pour en faire un outil qui possède une véritable "valeur", non plus uniquement financière, mais fondamentalement "humaine".
Cependant, il apparaît aujourd'hui que le travail n'est pas associé à cet idéal sociétal exprimé par les évènements de mai 68. L'actualité nous fournit constamment des exemples de drames humains liés au travail, qu'il s'agisse de suicide sur le lieu de travail, ou de licenciements massifs provoquant des manifestations et des grèves.
Il paraît donc intéressant, au regard des problèmes qui semblent liés au travail aujourd'hui, de s'interroger sur la valeur que possède le travail. Pourquoi le travail, qui, par son importance sociale, se trouve être au cœur des préoccupations des individus, connaît-il actuellement une crise profonde de légitimité? En quoi la redéfinition de la valeur travail, à travers une reconsidération de l'individu en tant qu'être humain et non en tant que simple variable économique semble-t-elle nécessaire ?
[...] Quelle "valeur travail" ? "Tripalium" : instrument de torture utilisé par les Romains pour punir les esclaves rebelles dans l'Antiquité. L'origine étymologique du mot "travail", associée à l'idée de souffrance, de soumission, révèle la contradiction qui peut exister entre le travail et la notion de "valeur", qui implique l'idée d'attachement, d'une estime pour l'objet considéré. Bien que contradictoire, l'expression "valeur travail" a "été utilisée à de très nombreuses reprises par les politiques lors de la campagne présidentielle de 2007. Utilisée à bon ou à mauvais escient, pour des raisons purement électorales ou pour des motivations politiques sincères, il est cependant indéniable que la valeur travail occupe une place considérable dans la société. [...]
[...] Ces deux facteurs entraînent alors une véritable crise actuelle de la valeur-travail. Le "malaise" au travail est aujourd'hui un phénomène présent dans toutes les sphères du travail : en effet, les exigences accrues pèsent fortement sur le moral des salariés, tandis que la précarité montante rend incertain l'avenir pour de nombreux individus. Jean-Marie Carré, dans son film "J'ai (très) mal au travail", mène une réflexion de fond sur le rapport qu'entretiennent les Français avec le travail, cet "obscur objet de haine et de désir" : on constate dans son documentaire que le stress semble être l'une des principales pathologies présentes parmi les salariés, notamment dans le milieu de l'entreprise : en France des cadres présenteraient un niveau de stress aigu. [...]
[...] Or, il est primordial que celui-ci soit "domestiqué", car ses effets sont ravageurs quand il est abandonné à lui-même. Ne tenant compte que des effets économiques, il détruit des emplois (on assiste donc à une montée du chômage et à une multiplication des contrats précaires), et ne promeut absolument pas le lien social. Le risque occasionné par un abandon de la régulation de travail serait donc de se retrouver dans une société traversée par le marché de part en part, avec ce que Robert Castel appelle les "exigences asociales du marché". [...]
[...] On assiste cependant à un effritement de la société salariale, se caractérisant par l'apparition de nouveaux risques rendant le rapport au travail aléatoire : la prolifération des contrats de travail "atypiques", la peur du chômage (en 2006, un français sur deux craint de devenir SDF, selon un sondage de l'Humanité) et la dégradation de la relation au travail sont les principales manifestations de la dérégulation de la valeur travail. Aujourd'hui, les droits et les protections du travail sont dès lors perçus comme des obstacles à l'impératif catégorique de la compétitivité. Robert Castel affirme ainsi que le travail ne doit pas être "mis de côté" à cause de sa dégradation. Selon lui, le renoncement à faire du travail un enjeu stratégique est une erreur, car cela signifierait le soumettre au libre jeu de marché. [...]
[...] La valeur travail subit aujourd'hui une véritable crise de légitimité d'autant plus importante qu'elle est un pilier sur lequel repose la société. La précarité grimpante, justifiée dans de nombreuses organisations par le prétexte d'une concurrence accrue sur le marché, la montée du chômage semblant inexorable et le malaise général ressenti par les cadres que l'on croyait protégés des souffrances liées au travail sont les facteurs d'un mal-être général. La redéfinition d'une valeur travail qui ne serait plus synonyme d'aliénation ni de souffrance, mais qui tiendrait compte des besoins et des attentes des individus et non plus des seuls enjeux économiques semble indispensable. [...]
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