Le sujet demande que l'on interroge cette idée spontanée et implicite que le bonheur se trouve en dehors de l'activité intellectuelle, que pour être heureux, il faut renoncer à la pensée, qui de soi rend malheureux. Il faut alors évidemment expliquer ce qui rend possible une telle thèse, c'est-à-dire expliquer pourquoi on a tendance à penser que le bonheur se trouve en dehors de la pensée, ou encore dire pourquoi penser ne rend pas heureux et que si l'on veut l'être, il ne faut pas penser. Cette thèse devra donc être l'objet d'une recherche, il faudra chercher à la fonder ; et d'une critique, voire ce qui peut l'affaiblir et à quel niveau (...)
[...] *Il suit que la seconde réponse sera la méditation, l'exercice spirituel. Contre le temps, le souvenir nostalgique du passé, l'épicurisme recommande une méditation, c'est-à-dire un exercice spirituel, qui vise à annuler l'effet sur nous du temps, à tenter de retourner cette maitrise du temps, dans laquelle fondamentalement tient ce qui nous empêche d'être heureux. Face à une nostalgie, à une souffrance présente ou à une souffrance que l'on anticipe, dans l'angoisse ou l'inquiétude, l'épicurisme recommande l'exercice spirituel qui réside dans l'affirmation comme présent du plaisir passé, contre les premiers maux, et de la même manière il faudra affirmer l'actualité du plaisir contre l'anticipation d'une souffrance à venir. [...]
[...] Quiconque, donc qui veut être heureux et croit trouver le bonheur dans la satisfaction d'un plaisir sensible, les hommes plaçant essentiellement en ce lieu leur bonheur (grossièrement jouir d'une jolie maison, fonder une famille, ne connaitre ne la maladie ni les soucis d'argent, s'offrir un confort matériel, tout ceci agrémenté des plaisirs de la table et de la joie d'un amour heureux), ne cherchera pas le bonheur dans l'activité intellectuelle, qui non seulement ne procure pas de plaisir sensible, mais qui au contraire est pénible. Il demande des efforts de concentration, il use celui qui s'y adonne. A cela, il faut ajouter l'image négative de l'intellectuel rachitique, faible b. Penser rend malheureux. Mais davantage encore, on peut montrer que de soi, l'activité intellectuelle ne détourne pas seulement du bonheur mais s'y oppose. Bref, il faut encore dire que mieux vaut s'abstenir de penser pour être heureux. [...]
[...] L'activité de réflexion, de méditation se présente encore comme un remède aux pensées douloureuses qui nous empêchent d'être heureux ; en réalité ce n'est pas en évitant de penser qu'on peut être heureux, mais en pensant cela même qui fait que l'on souffre. Épicure, dans une lettre à Ménécée, souligné que c'est dans l'activité philosophique elle-même que l'on peut trouver le bonheur, il écrivait en effet : " celui qui prétendrait que l'heure de philosopher n'est pas encore venue ou qu'elle est déjà passée, ressemblerait à celui qui dirait que l'heure n'est pas encore arrivée d'être heureux ou qu'elle est déjà passée". Demandons-nous alors non pas comment la philosophie permet-elle d'être heureux, mais d'abord qu'est-ce qui fondamentalement empêche d'être heureux ? [...]
[...] C'est encore ce que montre la gravure de Dürer, Mélancolia où l'on voit un personnage ailé, dont le regard rêveur s'élève au-dessus d'un apparent pêle-mêle d'instruments techniques, braséro, scie, marteau, rabot, paire de tenailles, soufflet, nécessaire à écrire, au-dessus de tous les symboles des acquisitions de la connaissance humaine, architecture, arithmétique, géométrie. Cette gravure en effet semble signer ainsi la radicale finitude de ces connaissances, incapable de satisfaire le désir d'infini de l'âme. C'est une confession et une manifestation de l'insurmontable ignorance de Faust, écrit à ce propos par Erwin Panofsky. On ne saurait nier le lien entre l'impossibilité de tout savoir, l'impossibilité d'atteindre un savoir absolu et le sentiment mélancolique. Aristote, dans un de ses Problèmes, soulignait le lien qu'il y avait entre savoir et mélancolie. [...]
[...] C'est pourquoi l'un pense en profondeur, l'autre en superficie. Il promet difficilement, car il attache du prix à tenir parole, et se soucie de pouvoir le faire. A tout cela point de raison morale (il est question ici de mobiles sensibles), mais c'est que la contrariété le met dans l'embarras, le rend soucieux, méfiant et pensif, et par là-même inaccessible à la gaieté". Dans la mesure où le savoir est indissociable d'une pénétration d'esprit, et d'une lucidité quant à soi et quant au monde, il ne saurait conduire à une vision optimiste et heureuse. [...]
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