Le 14 avril 2008, des "émeutes de la faim" ont secoué de nombreux pays, et notamment des pays pauvres, tels que le Burkina Faso, le Mozambique, la Mauritanie, les Philippines, ou encore Haïti où elles ont fait au moins cinq morts et ont abouti à la chute du gouvernement… Selon Jean Ziegler, rapporteur spécial de la commission des droits de l'homme des Nations Unies pour le droit à l'alimentation, l'Afrique est particulièrement touchée, parce qu'"elle subit la destruction systématique de ses agricultures vivrières". Les pays de l'OCDE, en pratiquant des subventions à la production et à l'exportation de leurs produits agricoles, peuvent les vendre au tiers voire à la moitié du prix des produits autochtones équivalents entrainant la faillite des agriculteurs locaux qui ne peuvent plus acquérir un minimum de revenus leur permettant de vivre…
Personne ne peut rester indifférent à ces situations d'extrême pauvreté et de famine et, par conséquent, les individus et les gouvernements des pays riches sentent qu'ils devraient réagir pour tenter d'y remédier.
Face à ces fortes inégalités de richesse, il parait légitime de se demander si l'on peut considérer que les pays riches ont des devoirs envers les pays pauvres. Le terme de "devoir" peut prendre le sens habituel du verbe, c'est-à-dire être entendu comme "ce qui doit être fait", et serait alors synonyme d'obligation, mais il peut également avoir une valeur d'ordre moral et désigner un désir de faire le Bien.
Peut-on concevoir que les pays riches ont des devoirs envers les pays pauvres ? Doivent-ils les aider à sortir de la misère au nom de valeurs morales universelles telles que la générosité, le partage ou la solidarité ?
[...] Ainsi, la mise en place de ce devoir d'aide aux pays pauvres peut même être considérée comme une forme de néocolonialisme, c'est- à-dire un moyen pour les anciennes puissances coloniales de garder une certaine domination économique sur les pays qu'elles possédaient autrefois. Ce néocolonialisme passerait par exemple par les politiques commerciales, économiques et financières des institutions internationales, qui, supposées aider au développement des pays les plus pauvres, aboutiraient en fait à leur domination durable par les pays riches. Samir Amin, l'un des principaux théoriciens de l'économie du développement, transposant les analyses marxistes à l'échelle internationale, estime que le colonialisme et le capitalisme sont inséparables Par conséquent, il remet en cause l'ensemble de l'ordre économique et financier international actuel et, pour lui, l'aide des pays riches aux pays pauvres telle qu'elle est conçue aujourd'hui ne peut aboutir qu'à renforcer leur domination et à accroitre la pauvreté. [...]
[...] Par conséquent, en considérant le sens moral du terme devoir les pays riches estiment en effet qu'ils ont des devoirs envers les pays pauvres. Ces devoirs ont été reconnus sur le plan international par exemple à travers l'adoption du Pacte international relatif aux droits économiques et sociaux de 1966 ou encore lors du Sommet Mondial de l'alimentation de Rome, organisé par la FAO en novembre 1996, durant lequel les 186 gouvernements participants se sont entendus pour proclamer notre volonté politique et notre engagement commun et national de parvenir à la sécurité alimentaire pour tous, et de déployer un effort constant afin d'éradiquer la faim dans tous les pays. [...]
[...] Ces privilèges sont très avantageux pour les pays riches qui peuvent acheter des ressources à quiconque exerce en fait un pouvoir dans un pays. En revanche, ils sont calamiteux pour les populations des pays en développement parce qu'ils permettent à des dirigeants oppressifs et peu représentatifs de se retrancher avec l'argent qu'ils empruntent à l'étranger ou qu'ils retirent de la vente des ressources. Thomas Pogge considère que les droits de l'homme imposent un devoir négatif aux pays riches : ceux-ci ne doivent pas contribuer à la mise en place d'un ordre international qui renforce la pauvreté d'autres pays. [...]
[...] Du principe que les hommes éprouvent de la pitié envers le malheur d'autrui, nait l'idée que les pays riches ne peuvent pas être indifférents à la pauvreté des autres Etats et qu'ils sentent bien qu'ils ont un devoir moral de les aider. La nécessité du devoir dans son sens moral, apparait en effet universelle. Pour Kant dans Critique de la Raison pratique et Fondements de la métaphysique des mœurs, le devoir est en effet de l'ordre de la recherche d'un Bien universel. [...]
[...] Toutefois, nous observerons dans un deuxième temps que si l'on conçoit le terme de devoir dans sa dimension morale, il parait alors légitime de considérer que les pays riches ont des devoirs envers les pays pauvres. Enfin, nous nous apercevrons cependant que si les pays riches reconnaissent effectivement avoir des devoirs envers les pays pauvres, ils peuvent en fait les aider pour leurs intérêts propres, et nous remarquerons que la mise en place de devoirs peut également avoir des effets pervers sur les pays pauvres. [...]
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