Vingt Piteuses, ralentissement de la croissance, fluctuations boursières, grande dépression, forte inflation, crise économique, pays capitalistes, Deuxième Guerre mondiale
Au milieu des années 1990, l'expression de « Vingt Piteuses » (pour qualifier la période ouverte par le choc pétrolier de 1973) fait pendant aux « Trente Glorieuses » inventées par Jean Fourastié pour décrire la croissance soutenue et pérenne des décennies d'après-guerre. L'usage du terme de crise économique peut cependant paraître abusif quand il s'agit de qualifier le ralentissement de la croissance que connaissent, à des degrés divers, les grands pays capitalistes. Peut-on parler de crise quand le taux de croissance, légèrement positif en moyenne, est proche de la tendance séculaire ? Dans le même temps, la montée des fluctuations boursières fait craindre un retour des crises financières, susceptibles de se propager dans la sphère réelle, comme ce fut le cas avant-guerre.
Depuis la « grande dépression » de 1929, on définit la crise comme le moment de retournement de la conjoncture, de l'expansion à la dépression (phase de « crise », au sens étendu du terme). Mais tous les phénomènes appelés crises depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ne correspondent pas à cette définition. Dans les années 1970 par exemple, les principaux pays capitalistes (États-Unis et Canada, Japon, grands pays d'Europe occidentale) ont connu une période de faible croissance (et non de « croissance négative ») associée à une forte inflation (et non à une diminution cumulative du niveau général des prix). La définition de ce terme est donc problématique. On peut même se demander si l'évolution des origines, des manifestations, de la durée et des remèdes apportés aux phénomènes ainsi qualifiés ne sont pas de nature à remettre en cause le concept de crise forgé à partir de la dépression d'avant-guerre.
[...] Années 1970 : crise conjoncturelle ou crise du capitalisme ? En 1973, sur fond de guerre entre Israël et les pays arabes, les principaux pays exportateurs de pétrole décident de doubler le prix du baril de pétrole (lequel quadruple en fait en quelques mois). La crise qui commence alors est d'un type inédit. On n'assiste ni à une spirale dépressive (le taux de croissance demeure positif ou nul), ni à une restriction durable du commerce international, ni à une spirale déflationniste. [...]
[...] Les Vingt piteuses marquent, tout autant que la faillite d'un paradigme économique, la crise du système de régulation qui prévalait depuis la fin de la guerre. Raisonner en termes de cycles longs (comme l'avait fait Kondratieff) permet de mieux comprendre le rôle des crises dans la dynamique de long terme du capitalisme. La période qui s'ouvre en 1973 peut être comprise comme une phase de transition entre deux régimes technologiques : un régime ancien fondé sur le pétrole à bon marché et un régime nouveau en train de se constituer sur la base d'une organisation productive intensive en information. [...]
[...] Il ne faut cependant céder à l'illusion rétrospective qui ferait croire à un âge d'or perdu. Les crises économiques ne sont pas absentes de ces décennies d'expansion. La guerre de Corée provoque deux courtes récessions aux États-Unis (en 1949 et 1953) ; le retour des pieds-noirs d'Algérie (1962) puis les accords de Grenelle (1968) attisent les tendances inflationnistes de l'économie française et limitent la croissance réelle. Les chocs existent, mais ils sont perçus comme exogènes. La volonté des républicains de limiter l'inflation apparaît par exemple comme la principale cause des récessions d'après-guerre outre-Atlantique. [...]
[...] En Europe occidentale, les crises du Système Monétaire Européen (SME) ont elles aussi conduit à des ajustements récessifs au début des années 1990 de croissance en France en 1993). L'unification monétaire, effective au 1er janvier 2002 dans onze pays de l'Union a alors été conçue comme un moyen de mettre aux fins aux crises de change dangereuses pour la croissance. Aux États-Unis, la banque centrale ajuste volontiers ses taux directeurs pour relancer l'économie ou amortir les fluctuations financières. Le krach boursier de 1987, qui était d'une ampleur comparable à celui de 1929, n'a pas eu les mêmes effets en cascade. [...]
[...] Conclusion À l'issue de ce panorama des différents phénomènes regroupés sous le terme de crises au cours du second vingtième siècle, on peut distinguer deux grands types de crises : celles qui durent relativement peu de temps, sont causées par un événement extraéconomique ou parla dynamique des marchés, mais qui peuvent être amorties par des outils relativement simples de politique économique, celles qui s'inscrivent dans la durée, qui dépendent de facteurs structurels plus profonds et qui mettent en jeu les caractéristiques fondamentales du système économique. À cet égard, la remise en cause de la division internationale du travail, qui était une des bases de la croissance des Trente Glorieuses et la montée de nouveaux marchés sur la scène internationale, ne sont pas sans effet sur la conjoncture des économies les plus développées : elles influent sur le cycle des affaires, elles exigent aussi des grands pays capitalistes une capacité à inventer de nouvelles voies pour une croissance pérenne et partagée. [...]
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