A. La pensée keynésienne en crise.
Nous savons que le modèle keynésien orthodoxe et la synthèse néoclassique ont été attaqués au cours des années 1970. Il est maintenant devenu évident pour le courant keynésien dominant que la critique des nouveaux classiques représente un défi beaucoup plus puissant et potentiellement plus destructeur que celui, déjà ancien, des monétaristes. Même si l'orthodoxie monétariste se présentait elle-même comme une alternative au modèle keynésien standard, elle n'apparaît pas comme une remise en cause radicale. Le faible succès des équations keynésiennes de prix et de salaires fondées sur une courbe de Phillips stable rendait urgente la modification des modèles keynésiens, afin de prendre en compte à la fois l'influence des anticipations inflationnistes et l'impact des chocs sur l'offre. Ceci fait et une fois la courbe de Phillips correctement modifiée, elle donna " des résultats acceptables " (Blinder, 1986). Les travaux de Gordon (1972, 1975), Phelps (1968, 1972, 1978) et Blinder (1979), tous considérés comme "keynésiens" pour Snowdon (p. 310), ont été particulièrement importants pour l'évolution du modèle keynésien, lui permettant d'absorber les influences monétaristes à l'intérieur du cadre d'analyse existant. En effet, cette synthèse des idées n'a nécessité aucun changement fondamental dans la façon dont les économistes keynésiens considéraient la " machine " économique.
Malgré ces développements, vers 1978, Lucas et Sargent envisageaient la " macro-économie après les keynésiens ". Selon eux, le modèle keynésien ne pouvait plus être rapiécé. Les problèmes étaient bien trop fondamentaux et liés en particulier à des bases micro-économiques inadéquates qui supposaient le non-ajustement des marchés ; et également l'incorporation, dans les modèles keynésiens et monétaristes, d'une hypothèse sur la formation des anticipations incohérente avec le comportement de maximisation (l'hypothèse d'anticipations adaptatives plutôt rationnelles). Dans un article intitulé " The Death of Keynesian Economics : Issues and Ideas ", Lucas (1980) est allé jusqu'à affirmer que " les gens se sentaient offensés quand ils étaient qualifiés de keynésiens. Dans les séminaires de recherche, la théorisation keynésienne n'était plus prise au sérieux, l'assistance se mettait à bavarder et à rire " (cité dans Mankiw, 1992). Dans la même veine, Blinder (1988a) a confirmé que " vers les années 1980, il était difficile de trouver un macro-économiste universitaire, âgé de moins de 40 ans en professant les idées keynésiennes. Il s'était produit un étonnant revirement en moins d'une décennie, une révolution intellectuelle indiscutable ". Mais, à cette époque, aux USA, "les vieux" économistes keynésiens posaient déjà la question : " Keynes est-il bien mort ? " (cf. Tobin, 1977).
B. La résurgence de la pensée keynésienne ?
La notice nécrologique de l'économie keynésienne rédigée par Lucas paraît aujourd'hui avoir été prématurée car les "vilains" semblent être revenus à la mode ces dernières années. Blinder a parlé de " Keynes après Lucas " (1986), de " décadence et grandeur de l'économie keynésienne " (1988a) et plus récemment a prétendu qu' " une restauration keynésienne est en marche " (1992b). Howitt (1986) a commenté le " retour des keynésiens ", Mankiw (1992) affirme que l'économie keynésienne s'est " réincarnée " et Thirlwall (1993) pense que nous sommes les témoins d'une " renaissance keynésienne ". En réponse à sa propre question, Tobin (1977) a fourni une réponse sans équivoque dans son essai, The Future of Keynesian Economics (cité par Snowdon) :
" L'une des raisons de l'avenir de l'économie keynésienne est que les théories alternatives des fluctuations n'en ont aucun. [...] Je me hasarde à prévoir qu'aucune des deux variétés des théories du cycle économique proposées par la nouvelle macro-économie classique ne sera considérée comme une explication crédible des fluctuations économiques d'ici quelques années. Quelle que soit la théorie du cycle qui émergera d'une nouvelle synthèse, elle contiendra des éléments keynésiens. [...] Oui, l'économie keynésienne a un avenir parce qu'elle est essentielle à l'explication et à la compréhension de beaucoup d'observations et d'expériences passées et présentes, que les approches macro-économiques alternatives ne permettent pas de mettre en lumière. "
La persistance d'un chômage élevé en Europe au cours des années 1980 et 1990 a également apporté une " crédibilité accrue à la théorie et à la politique économique keynésienne " (Tobin, 1989). Quand on demanda à Paul Samuelson si Keynes était mort, il répondit " Oui, Keynes est mort. Tout comme Einstein et Newton " (Samuelson, 1988).
Les nouveaux classiques ont résolu la tension entre la micro-économie néoclassique et la macro-économie keynésienne en abandonnant cette dernière. Une approche alternative de ce problème a été développée par des économistes qui pensent que la synthèse néoclassique contient certaines vérités fondamentales et que, si on la modifie convenablement, l'économie keynésienne pourrait à nouveau dominer la macro-économie. Cependant, comme on le verra, les modèles "néo"-keynésiens sont très différents, de bien des façons, de leurs lointains cousins des années 1960. En reconstruisant les fondations micro-économiques de l'économie keynésienne, les théoriciens néo-keynésiens ont établi un programme de recherche visant à rectifier les défauts historiques qui imprégnaient le "vieux" modèle keynésien (Snowdon et Vane, 1994).
C. Les différentes écoles keynésiennes.
Y a-t-il un renouvellement du courant keynésien ? La nouvelle économie keynésienne est un nouveau courant de pensée qui se réclame de Keynes. Nous savons que ce dernier auteur a donné lieu à de nombreuses interprétations ; en 1980, E. Roy Weintraub parlait, non sans humour, du " 4827è examen du système de Keynes " en précisant : " Malheureusement, il n'existe pas de vue communément acceptée sur ce que Keynes a réellement accompli " (Weintraub, Fondements micro-économiques, Econonomica, 1980, p. 39). Il existe de nombreuses obédiences keynésiennes, nous essaierons d'en donner une classification en reprenant la typologie de Abraham-Frois.
Un premier courant peut être déterminé : il s'agit de celui du keynésianisme de longue période. Les deux auteurs principaux de cette école sont Harrod et Domar. Ils ont essayé de prolonger dans le long terme l'analyse de Keynes qui est essentiellement de courte période.
Le deuxième courant est celui de l'école de Cambridge ou plus exactement des post-cambridgiens étant donné que Keynes enseignait dans cette université britannique. Nous pouvons souligner le fait que dores et déjà, cette classification est source de difficultés car Harrod était l'un des disciples les plus fidèles de Keynes. Les auteurs de cette école sont préoccupés par les interactions entre les phénomènes de croissance, de crises et ceux relatifs à la répartition en tentant de concilier les idées de Keynes, de Marx et de Kalecki. Les auteurs les plus importants sont naturellement N. Kaldor et J. Robinson auxquels nous pouvons rattacher les travaux plus récents de L. Pasinetti et de P. Garegnani sans oublier l'importance de la contribution de P. Sraffa.
Le troisième courant est très connu puisqu'il s'agit de l'école de la synthèse classico-keynésienne. Les auteurs essaient de réconcilier et même de faire la synthèse entre les apports de Keynes et ceux de Walras. Cette école a été particulièrement dominante durant les années 60, elle comprend notamment Hicks, Hansen, Samuelson, Solow, Tobin, Klein, Modigliani ... dont beaucoup sont Prix Nobel.
Il existe aussi un quatrième courant, dit parfois " néo-keynésien " qui s'est développé durant les années 70 ; cette école a parfois été dénommée " équilibres à prix fixes " ou encore, " école du déséquilibre ". Le groupe d'auteurs appartenant à cette école s'est intéressé aux fondements micro-économiques de la macro-économie. Ces théoriciens ont eu un écho favorable en Europe (surtout en France et en Belgique du fait de la notoriété de E. Malinvaud et J. Drèze), cependant, il faut signaler que l'un des articles fondateurs de cette école a été écrit curieusement par R. Barro qui est aussi l'un des fondateurs de la NEC.
Il faut noter également l'existence du groupe des " Post-Keynésiens " qu'il ne faut pas confondre avec les " néo-keynésiens " ou avec la " NEK ". La dénomination de cette école de pensée vient du nom de la revue crée en 1978 aux USA par P. Davidson et S. Weintraub (deux économistes américains), elle s'intitule : Journal of Post-Keynesian Economics. L'interprétation de Keynes que fait cette école est en rupture avec les présentations faites aussi bien par les néo-keynésiens que par l'école de la synthèse ; l'accent est mis sur les structures monétaires et financières, sur les problèmes d'endettement, de risque, qui en découlent, l'importance de la prise en compte des prévisions. Il faut noter que l'ouvrage de Keynes qui sert de référence à ces auteurs n'est pas la Théorie générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie mais le Traité sur la Monnaie paru en 1930. Il est possible de rattacher à ce courant les travaux d'auteurs se réclamant de " l'école du circuit " ou de " l'analyse monétaire de la production ". Nous pouvons citer quelques auteurs de référence comme B. Schmitt, A. Barrère, F. Poulon, M. Lavoie ainsi que certains travaux de l'école de la régulation (notamment M. Aglietta sur l'instabilité du système financier et le risque systémique).
Nous allons donc exposer l'analyse économique des nouveaux keynésiens.
Pour cela, nous examinerons dans un premier chapitre les caractéristiques principales de la pensée de Keynes, puis celles de la nouvelle économie keynésienne. De là, nous pourrons évoquer dans un deuxième chapitre les causes des rigidités des prix et des salaires ; en effet, ces rigidités sont des éléments essentiels chez les keynésiens. Les nouveaux keynésiens les ont endogénéisées. Dans le troisième chapitre, nous donnerons les conséquences des rigidités retenues par ces auteurs.
[...] Les salariés de la première cohorte sont certes touchés par le choc monétaire mais ils savent que la cohorte renégociera dans un climat amélioré ; les anticipations sur les négociations de demain retentissent sur les négociations d'aujourd'hui. On s'étonne en conséquence moins de la coexistence d'une rigidité, voire d'une hausse des salaires avec un certain degré de chômage Après avoir étudié la rigidité nominale des salaires, passons à l'examen de la rigidité nominale des prix. La rigidité nominale des prix. L'explication de la rigidité des salaires nominaux a fait l'objet de vives critiques comme celles de Barro (1977). D'après ces critiques, les principes micro-économiques évoqués ne sont pas solides. [...]
[...] Les premiers livres de Keynes furent des ouvrages plutôt dictés par les circonstances. Monnaie et finance indiennes (1913), porte la trace du passage de Keynes dans la haute fonction publique, entre la fin de ses études et le début de sa thèse ; les conséquences économiques de la Paix (1919) témoignent de l'indignation de Keynes devant les conditions imposées à l'Allemagne après la Première Guerre mondiale (dans lesquelles il voyait les germes des conflits futurs) ; enfin la Réforme monétaire (1923) est le résultat direct des contributions de Keynes en tant qu'éditeur des suppléments économiques du Manchester Guardian. [...]
[...] Tout le monde a intérêt à signer un accord. De plus, si l'entreprise ajuste immédiatement le taux de salaire nominal suivant un choc négatif de demande, elle ne mène pas une stratégie optimale car si les autres entreprises ne réduisent pas simultanément les salaires, la première proposera un salaire relatif plus faible, ce qui accroît la probabilité de turn over : les coûts augmentent. C'est pourquoi l'évolution des taux de salaire au cours d'une récession ne suit pas le " processus de retraite ordonnée " comme l'indiquent les nouveaux classiques mais suit plutôt " une retraite dispersée retraite qui se développe dès lors que l'information se diffuse dans toute l'économie (Phelps p. [...]
[...] (1977), " Long term contracts rational expectations, and the optimal money supply rule Journal of Political Economy, february. Friedman B.M. (1992), " How does it matter ? " in M. Belongia and M. Garfinkel The Business Cycle : Theories and Evidence, London : Kluwer Academic Publishers. Friedman M. (1968a), " The rôle of monetary policy American Economic Review, october. Gordon D.F. (1974), " A neoclassical theory of keynesian unemployment Economic Inquiry, december. Gordon R.J. [...]
[...] Selon toute vraisemblance, la flexibilité des prix aggrave la situation, dans la mesure où elle accroît l'incertitude. Dans le modèle de Greenwald et Stiglitz, l'offre et la demande globales sont interdépendantes et la " dichotomie entre chocs sur la "demande" et chocs sur "l'offre" n'est au mieux que trompeuse " (Grennwald et Stiglitz, 1993b, p.103). Sur la figure suivante, nous avons illustré l'impact d'un choc sur la demande qui entraîne un déplacement vers la gauche de la courbe d'offre. Le niveau des prix demeure en P0, bien que la production chute de Y0 à Y1. [...]
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