Pour la plupart des économistes, les préférences sont exogènes et stables. Trois arguments sont avancés pour justifier cette position : D'abord, Friedman (1953) avance que la validité d'une théorie ne doit pas être jugée sur la base du réalisme de ses hypothèses du moment où elle fournit de bonnes prédictions. Donc, même si dans la réalité les préférences changent d'un individu à l'autre, les économistes peuvent faire « comme si » elles sont stables. Ce qui compte c'est l'explication des conséquences d'un profil de préférences donné combiné avec une contrainte budgétaire sur les choix des individus. Ensuite, Samuelson (1983) considère que les préférences ne font pas partie de l'objet de la science économique car les facteurs qui façonnent les préférences sont irrationnels. C'est aux psychologues et aux sociologues d'étudier les préférences, quant aux économistes ils n'ont qu'à les considérer comme données, donc exogènes. Enfin, on rencontre l'argument avancé par les psychologues et les sociologues selon lequel les économistes ont renoncé à l'explication des préférences car le coût de celle-ci excédait les bénéfices escomptés. Cet excès de coût résulterait de la non disponibilité d'outils d'analyse appropriés pour analyser les préférences qui sont difficiles à observer et dont l'effet est souvent masqué par celui des variables économiques (prix, revenus). A côté de ces raisons, Etzioni (1985) en avance une autre pour expliquer la négligence des économistes de la question des préférences. Selon Etzioni (1985), les économistes du courant dominant expliquent les changements de comportements par la variation des prix, mais en s'intéressant uniquement aux états d'équilibre. C'est la méthode de la statique comparative qui voit les différentes décisions comme indépendantes. Or, nous savons très bien que par effet de mémoire, d'expérience et d'apprentissage, les décisions que nous prenons à différents moments sont enchevêtrées et liées. En conséquence, l'explication des comportements ne peut être réalisée que dans un cadre dynamique où l'on s'intéresse au processus par lequel l'individu forme ses choix.
L'objectif de ce travail est de mettre en évidence les arguments qui plaident pour l'endogénéité et l'évolution des préférences. Il ne s'agit pas ici de proposer une théorie de la formation ou de l'évolution des préférences, mais tout simplement de justifier leur endogénéité et leur instabilité. Pour ce faire, nous consacrerons une première section pour se pencher sur les arguments, autres que méthodologiques, qui ont justifié aux yeux des économistes l'hypothèse d'exogénéité et de stabilité des préférences. Parallèlement nous nous attellerons à démonter ces arguments liés à une certaine conception des préférences et à une certaine définition de leur objet. Au terme de cette première section, nous proposerons une définition qui nous paraît la plus appropriée pour tenir compte de l'endogénéité et de l'instabilité des préférences. Dans la deuxième section nous proposerons les fondements sur lesquels doit reposer l'hypothèse de préférences endogènes et instables. Il s'agit, d'une part, de montrer pourquoi il faut considérer les préférences comme endogènes, et d'autre part, pourquoi elles doivent être considérées comme convergentes vers la stabilité.
[...] Dans la théorie de la préférence révélée, il est supposé implicitement la coïncidence des dimensions comportementales et verbales de la préférence. La relation automatique qui existe entre préférences et choix n'est pas soutenable. Certes, les choix révèlent une préférence, mais celle-ci n'est pas unique. Elle n'est pas non plus figée car elle peut être ajustée ou simplement remplacée par une autre. C'est ce que défend également Rothbard (1991) à travers son concept de préférence démontrée. Le concept de préférence démontrée, quoique similaire, est différent de la préférence révélée de Samuelson. [...]
[...] Les individus sont conscients de ce lien entre choix présents et utilité future. Ils essayent d'influencer leurs préférences futures en contrôlant la manière dont ils accumulent du capital personnel. Ils ne peuvent du reste y réussir qu'en partie. Il y a deux raisons à cela : d'une part, certaines composantes du capital personnel sont au-delà de leur contrôle (influence des parents, de la publicité, de l'école, de la propagande gouvernementale. D'autre part, ils peuvent commettre des erreurs, et ne pas bien prévoir la manière dont une consommation présente affectera leurs goûts futurs. [...]
[...] Le terme de perspective est plus large et permet de prendre en considération les raisons pour lesquelles les individus manifestent certaines préférences plutôt que d'autres. Dans la même logique, Savage (1972) prend pour objets de préférences des actes. Ceux-ci sont définis comme des fonctions qui associent les conséquences possibles à chaque état du monde. Définir l'objet des préférences comme des perspectives ou des actes met en évidence la sensibilité des préférences aux croyances relatives aux conséquences, elles deviennent donc endogènes aux croyances. L'identification des préférences comme les états d'affaires pertinents à la prise de décision élargit l'éventail de leurs objets. [...]
[...] Conclusion Si l'hypothèse d'exogénéité et de stabilité des préférences a été souvent admise par commodité vu sa parcimonie en termes d'information et de complexité, elle ne pourra être conservée si l'on aspire à une meilleure intelligence des changements de comportements. Dans ce travail nous venons de montrer que l'exogénéité et la stabilité des préférences sont liées à une certaine conception des préférences et à une certaine définition de leur objet. Contrairement à ce que pensent les économistes du courant dominant, la définition de la nature des préférences et la délimitation de leur objet influencent leur caractère exogène ou endogène. [...]
[...] II Choix séquentiels et évolution des préférences Dans la même perspective, Buchanan et Brennan (1985) expliquent que, les individus font des choix de façon séquentielle dans le temps. Cela veut dire que leurs choix présents affectent leurs ensembles d'opportunités et donc leurs choix futurs. Il existe donc une interdépendance temporelle des utilités ressenties à chaque instant ti. Ainsi, le choix fait en t0 va affecter celui en t1 ; celui-ci va affecter à son tour le choix de l'individu en t2 et ainsi de suite. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture