Désormais, dans notre société, l'argent a pénétré les relations sociales, ayant même le pouvoir de métamorphoser les comportements et les personnalités. Omniprésent dans le langage, dans les images, dans l'actualité, c'est une réalité prégnante de notre quotidien. C'est également un marqueur social important des sociétés monétisées dans la mesure où l'argent homogénéise, identifie et hiérarchise les éléments. Ce faisant, il paraît exercer une influence considérable sur des individus qui pensent le monde en termes monétaires. Langage, lien social fondamental des sociétés marchandes, source de pouvoir mais aussi d'inégalités, de liens de sujétion, de violences, de crises sociales et monétaires… Ces quelques éléments invitent à réfléchir sur la nature profonde de la monnaie, ce qui implique de ne pas en rester à son apparence fonctionnelle car, finalement, l'évidence ne dit rien sur ce qu'est réellement la monnaie. C'est pourquoi, adopter le point de départ de la théorie économique standard conduit assurément à abaisser la capacité de compréhension des phénomènes impliquant la monnaie, ce qui peut se révéler dommageable lorsqu'on sait que l'économique et le social repose aujourd'hui en bonne partie sur le monétaire. Dès lors, écarter ou neutraliser la monnaie revient d'une certaine manière à occulter ou à rejeter sciemment une partie intégrante de la réalité économique et sociale.
Saisir la nature de la monnaie implique, semble-t-il, de déborder le cadre économique afin d'appréhender l'argent comme un concept, devenu institution, aux composantes à la fois politiques, sociales et économiques. De ce fait, cette réflexion propose de penser la monnaie comme une institution centrale des sociétés contemporaines, sur laquelle reposent les économies modernes. En outre, s'étant dématérialisée avec le temps, elle se présente aujourd'hui sous des aspects de plus en plus abstraits dont la forme de référence demeure la monnaie fiduciaire ou « monnaie papier ». Exempte de valeur intrinsèque, la monnaie ne possède de valeur que par son signe, signe qui lui confère une valeur autoréférentielle. De la sorte, en prenant le pas sur le « réel », le nominal, essence même de la monnaie, fait intervenir une logique purement sociale qui renvoie au symbolisme et intègre les individus dans un système régi par la croyance et la confiance. L'argent fait donc partie de ces « choses » qui existent uniquement parce que les hommes les ont créées de manière artificielle et délibérée, selon une intention spécifique. Ces choses construites socialement, qui régissent notre quotidien, résultent de la volonté humaine et sont, en ce sens, le produit de l'histoire. En d'autres termes, la monnaie n'est une composante des sociétés uniquement dans la mesure où il existe un consensus social sur son existence, sa nature et ses fonctions. De ce fait, elle a pour support friable la croyance et, à plus long terme, la confiance des individus, ce qui pose, entre autres, le problème crucial de la stabilité du cadre et du support de l'économie de marché. De par sa nature, la monnaie doit donc toujours réaffirmer sa légitimité aux yeux des individus si elle veut rester souveraine car, à défaut de reconnaissance sociale, monnaie n'est pas richesse et richesse n'est pas monnaie.
Hormis la volonté d'effectuer une analyse conceptuelle de la monnaie qui se détache de l'orthodoxie économique, le projet de ce mémoire est d'allier analyse théorique et application réelle dans une démarche d'ensemble cohérente et, si possible, pertinente. De ce fait, la problématique est double et se subdivise en deux questions : d'une part, il faut se demander comment la monnaie, considérée comme une composante fondamentale de la réalité économique et sociale, dépourvue de valeur intrinsèque, parvient-elle à remplir les fonctions d'unité de compte, de moyen de paiement et de réserve de valeur que les économistes lui assignent traditionnellement ? Puis, d'autre part, en intégrant les éléments de réponse de la première question, il convient de s'interroger pour savoir dans quelle mesure l'euro constitue-t-il une monnaie originale, pionnière et audacieuse, qui, de ce fait, se révèle porteuse d'éléments de fragilité ? La réponse à ces questions s'effectuera conformément à une vision hétérodoxe de la monnaie, au sens où celle-ci sera appréhendée comme une institution à consistance économique, sociale et politique.
[...] [118] Jean-Michel Servet, Promesses et angoisses d'une transition monétaire in L'argent (précédemment cité) : p [119] Michel Aglietta, Espoirs et incertitudes suscités par l'euro in L'argent (précédemment cité) : p [120] Bruno Théret, L'euro en ses tristes symboles. Une monnaie sans âme ni culture (précédemment cité). [121] Denis Guénoun, Les deux faces de l'euro in L'argent (précédemment cité) : p Denis Guénoun est écrivain, philosophe et homme de théâtre. Il est professeur en poste à l'Université de Paris IV-Sorbonne. [122] Voir le supplément Euro du journal Le Monde, daté du 23 novembre 2001. [...]
[...] Ainsi, la thèse de la dématérialisation renvoie à ce que l'on peut appeler l'histoire traditionnelle de la monnaie une évolution linéaire mettant en évidence l'abstraction progressive des formes de la monnaie, de la monnaie- marchandise à la monnaie scripturale. A la lumière des faits, la thèse de la dématérialisation est globalement avérée. En effet, avec le temps, la monnaie s'est indubitablement détachée des supports matériels qui lui conféraient une valeur soit intrinsèque (monnaie-marchandise), soit instituée (monnaie métallique). Aujourd'hui signe monétaire à valeur autoréférentielle, il est indéniable que la monnaie s'est abstraite avec le temps. [...]
[...] Or, sur ce point, la zone euro ne semble pas être à la hauteur des espoirs qui avaient été placés en elle. D'ailleurs, le tabou de l'abandon de l'euro semble désormais écarté : Dans ces conditions, comment s'étonner de la désaffection dont souffre l'euro auprès des opinions publiques et de la tentation du retour en arrière qui pointe dans certains discours politiques ? ; ‘L'euro est un mariage à l'ancienne, de ceux qui se faisaient quand le divorce n'existait pas', déclarait début juin (2005) le commissaire européen Joaquin Almunia. [...]
[...] L'accent sera alors mis sur l'originalité et les éléments de fragilité de cette nouvelle monnaie, produit de la rationalité économique. La monnaie appréhendée comme une composante centrale de la réalité socialement construite : saisir l'argent comme une institution impliquant croyance et dont la pérennité repose sur un lien social de confiance La monnaie se veut être un rouage économique essentiel permettant d'organiser efficacement les échanges au sein des sociétés marchandes. A ce titre, elle assure un certain nombre fonctions qui lui sont traditionnellement associées. [...]
[...] Actuellement, c'est le système capitaliste, reposant sur la relation salariale, qui est le mode d'organisation dominant des sociétés contemporaines. Comme l'avaient très bien souligné David Ricardo et Karl Marx à leurs époques, ce système est fondé sur un antagonisme de classes opposant capitalistes et salariés[38]. Néanmoins, pour qu'il existe des capitalistes et des salariés, encore faut-il qu'il existe au préalable, entre autres, un système juridique qui reconnaisse et régisse la propriété privée, etc. Or, la propriété privée est elle-même une institution, au même titre que le rapport salarial. [...]
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